Sergio Leone, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, c’était un réalisateur italien spécialisé dans les westerns spaghetti. Comme beaucoup de grands artistes, il fut boudé de son temps par la critique. Mais l’adage « le temps donne raison » s’applique pour lui. Il est devenu légendaire pour les films Pour une Poignée de Dollars, Le Bon, la Brute et le Truand, et pour la trilogie des Il était une fois, objet du présent billet.
Cet article a été écrit à quatre mains par Maerlyn et Raismith. Chaque avis de film est accompagné d’un des thèmes musicaux d’Ennio Morricone, le fidèle comparse de Leone qui officie en tant que compositeur sur ses films et qui n’en est pas moins légendaire.
C’era una volta il West – Il était une fois dans l’Ouest
Année de sortie : 1968
Acteur principal : Charles Bronson – L’homme à la l’harmonica
Autres acteurs : Henry Fonda, Claudia Cardinale, Jason Robards
L’avis de Raismith :
Lorsqu’il réalise Il était une Fois dans l’Ouest, Sergio Leone a révolutionné le genre western depuis à peine quelques années. Si le western italien a été inventé par son père dans les années 1910, c’est bien Sergio qui va beaucoup faire parler de lui à l’époque en en réalisant plusieurs d’affilée.
Les premières minutes du film sont grandioses. À mon humble avis, le plus grand moment de cinéma que j’ai pu voir. Trois cowboys, silencieux, crasseux, vêtus de grands cache-poussière, se rendent à une gare en plein milieu du désert. Le maître de gare les interpelle en leur réclamant le prix d’un billet. Ils l’enferment dans un genre de placard, sans se montrer excessivement vindicatif. Ce qui va suivre ne le concerne pas. Et puis… l’Attente. Un télégraphe qui fait du bruit. Une fuite du plafond de la gare qui s’écoule. Une mouche gambade et bourdonne. Les trois cowboys se montrent patients. Au bout de quelques minutes, un train apparait bruyamment à l’horizon. Ils s’avancent. Le train s’arrête. Ils se préparent. Mais… personne ne descend. Étrange. Ils se retournent. Et alors que le train poursuit sa route dans l’Ouest, la mélodie d’un harmonica se fait entendre. Une mélodie lente mais légèrement stridente. Comme un cri d’agonie. Leur homme est là. Le face-à-face peut commencer.
Je n’ai pu m’empêcher de vous narrer ce fabuleux passage avec un style approximativement littéraire. Ces premières minutes sont une leçon de cinéma et la scène a dû probablement demander un temps d’élaboration fou. Concrètement, il ne passe RIEN. Mais le son du télégraphe, l’eau qui goutte sur le chapeau d’un des hommes, leur regard perçant, leur dégaine, le choix des plans de caméra… tout est diablement envoutant. À ce niveau, on peut parler de cinématologie. Le cinéma comme une science, qui peut-être étudié pour optimiser les plans de caméra, l’utilisation de sons… Pour le reste du film, Sergio Leone utilise avec maestria toutes les techniques qu’il a inventées, notamment ces fameux plans ultra-serrés sur les visages de ses acteurs. Charles Bronson, apparemment taciturne dans la vraie vie, est très à l’aise dans ce rôle énigmatique.
Ne nous le cachons pas, le film souffre toutefois de quelques longueurs. Voulues ? Pas voulues ? Tout ne peut pas être aussi génial que la première scène en tout cas. Heureusement, le duel final est tout autant un moment fort de cinéma. Le face-à-face Henry Fonda/Charles Bronson est magique jusqu’à la dernière seconde, où, seulement avec des images, sans parole, Leone réuni tous les éléments disséminé le long du film pour nous offrir un moment absolument saisissant.
Je peux vous le dire, si j’avais six ou sept ans moins quand j’ai découvert ce film, je serais allé fissa m’acheter un harmonica, car après ce film, l’harmonica devient un instrument sacrément classe. (D’autant plus pour moi que, dans un autre registre, c’est la petite signature de mon musicien préféré, Johnny Marr).
En gros, un film très bon sur la longueur, et avec deux moments gigantesques. C’est presque trop pour un seul film.
Giu la testa – Il était une fois la Révolution
Année de sortie : 1972
Acteurs principaux : James Coburn – John Mallory ; Rod Steiger – Juan Miranda
L’avis de Maerlyn :
Quand vous commencez une discussion sur Sergio Leone, Il était une fois la révolution ne va pas être évoqué tout de suite. Selon la discussion, il va peut-être même ne pas être évoqué du tout. Beaucoup moins de personnes l’ont vu que ses autres westerns, et encore moins de gens l’ont vraiment apprécié. Personnellement, ça m’a toujours semblé étrange, comme si j’étais le seul rescapé d’un Bizarro-World car Il était une fois la révolution a toujours fait partie de mon univers personnel. J’ai littéralement grandi avec ce film, qui était l’une des rare V.H.S que mon père possédait (si vous êtes trop jeunes pour vous souvenir des V.H.S… euh, je sais pas, insérez ici votre propre blague anti-jeunes mais pas trop). La première fois que je l’ai vu, j’avais moins de 7 ans, et je l’ai revu plusieurs dizaines de fois depuis. Giu la Testa n’est pas le meilleur film que j’ai vu, mais c’est mon film préféré.
Et il aurait quand même une bonne place au top des meilleurs films que j’ai vu…
Je ne sais pas pourquoi ce film est le vilain petit canard de la cinématographie de Leone. Peut-être parce qu’il n’est pas aussi sexy que les autres. Il n’y a pas de jeune superstar mais des acteurs solides et expérimentés, la mise en scène est souvent plus sobre que dans ses autres opus. Et puis le contexte (la révolution mexicaine en 1913) est moins attirant aussi. Ou peut-être que les gens n’ont pas mon instinct pour déceler les qualités d’une telle pépite, c’est une bonne explication, je trouve.
Le film nous parle de deux personnages que quasiment tout oppose, Juan et John. Un bandit et un révolutionnaire, un family man (ouais bon, assez dysfonctionnelle, la famille) et un solitaire, un naïf et un cynique. Puis petit à petit, les évènements vont troubler ces contrastes et rapprocher ces deux hommes plus qu’ils ne le désiraient. Car c’est avant tout une histoire d’amitié, mais pas balisée en tant que telle. C’est l’histoire d’un homme qui a déjà tout perdu, et d’un autre qui va tout perdre.
Et le film nous parle aussi de la révolution bien entendu. Pas seulement comme simple contexte historique, mais comme concept. L’idée de la révolution est vue comme une utopie, dont le film détruit tout romantisation dès le début avec sa citation de Mao Tsé-Toung se terminant par « La révolution est un acte de violence ». Un propos qui sera répété et illustré plusieurs fois. Dans le film, les conséquences premières de la révolution ne sont pas un renouveau, mais la destruction, la perte.
La révolution c’est ça.
« Il était une fois la révolution » est un film beau, triste, et puissant. Il n’est pas forcément accrocheur au premier abord et c’est donc difficile de passer à côté. Mais ce serait dommage. Car il est tellement rempli d’idées que j’en découvre encore aujourd’hui, à 26 ans, après l’avoir vu pour la énième fois.
Once Upon a Time in America – Il était une fois en Amérique
Année de sortie : 1982
Acteur principal : Robert De Niro – David « Noodles » Aaronson
Autres acteurs : James Woods, Elizabeth McGovern, Tuesday Weld, William Forsythe, James Hayden
L’avis de Raismith :
Alors que Sergio Leone n’a fait qu’évoquer l’Amérique dans son œuvre durant toute sa carrière, il est amusant de noter qu’Il était une fois en Amérique est son seul film “américain”, car étant produit par un Américain.
Ce sera le dernier film de Leone, celui qui a usé ses dernières forces vitales. Mais c’est surtout le film qu’il a toujours voulu faire, celui pour lequel il s’est le plus investi. Il a commencé à en écrire le scénario douze ans avant qu’il ne paraisse sur grand écran. Mais surtout, la grande différence notable avec le reste de sa filmographie, c’est que c’est son seul film qui ne s’apparente pas de près ou de loin à western, puisqu’il s’agit d’un film de gangsters (genre dont je suis naturellement friand d’ailleurs).
Trois heures et quarante-cinq minutes. Cinquante ans de vie mise sur grand écran. Cinquante ans d’histoire sociale des États-Unis. Car le point commun de la trilogie Il était une fois de Sergio Leone, c’est qu’elle raconte la construction de l’Amérique, de la conquête de l’Ouest à la naissance de la grande criminalité, en passant par la révolution mexicaine. Ici, le spectateur suit l’ascension et la chute brutale de David Aaronson, d’abord petit délinquant du ghetto juif de New York, qui parvient à devenir un « cavalier de l’apocalypse » avec ses trois camarades, un homme qui ne recule devient rien, ni le vol, ni le meurtre, ni l’intimidation, pour s’enrichir et assoir son influence. Même si le doute s’installe de plus en plus en lui. Et s’il allait trop loin ? Leur ascension durera-t-elle éternellement ?
Je ne suis pas très cinéphile. J’ai vu très peu de films antérieurs aux années 1960 et aucun des grands classiques des années 1920, 1930 et 1940. Même si j’en entends beaucoup parler et que j’ai envie de les voir. Je serai donc bien gonflé de brandir ce film comme étant le meilleur film de tous les temps. Pourtant, c’est un peu le sentiment que j’ai. Il était une fois en Amérique fait partie de ces films qui méritent d’être vu plusieurs fois pour tout saisir, du fait de sa construction complexe sous forme de flashback.
Le flashback, c’est un procédé ancien dans le domaine de la fiction. Mais c’est peut-être celui, qui, manié avec la plus grande maestria, peut facilement créer l’excellence, notamment dans le cinéma, plus que n’importe quel autre procédé. Ici, le film est long, l’histoire racontée se déroule sur toute une vie, il y a donc énormément de choses à comprendre et de sous-entendus à saisir. Et c’est pour cela que l’utilisation du flashback est très intéressante.
En dehors de cela, l’importance accordée à la psychologie des personnages liée au talent des acteurs font que le film laisse une empreinte dans la mémoire des spectateurs. Si Robert De Niro est un excellent choix pour jouer Noodles, James Woods est peut-être l’acteur le plus intéressant, celui dont le personnage va oser le plus de choses risquées et pour cela, il faut savoir exercer une certaine tension, ce que Woods sait faire.
On ressort difficilement indemne de ce film, où tout brille, la réalisation, les acteurs, la musique d’Ennio Morricone, le scénario… Non, franchement, un très grand film.
Il faut parler aussi, en dehors de cette trilogie, de »MON NOM EST PERSONNE » qui s’implique totalement dans cette vision de l’Amérique. Et avec une photo finale à découvrir.
‘Peux pas dire, je l’ai pas vu. Je suis en plein rattrapage de grands films, notamment tous les Sergio Leone (deux des trois films de la trilogie du dollar m’attendent sagement en dvd).
C’est pas impossible que j’écrive un truc sur « Mon nom est Personne » un jour, mais il est tellement riche en thématiques qu’il est difficile de savoir par où commencer. C’est un film sur le changement de l’Amérique et sur la fin de l’Ouest sauvage, mais c’est aussi une étude sur le genre du western, sur la fin des héros, sur la carrière de Leone et et sur le cinéma en général.
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Merci de cette magnifique analyse. Je viens de revoir « Il était une fois l’Amérique » pour la nième fois sur Arte, et je ne m’en lasse pas..