A Angoulême, au festival international de la bande dessinée, était présent Atsushi Kaneko, mangaka connu en France pour Bambi, Soil et tout récemment Wet Moon (dont on vous a déjà parlé sur Nostroblog). Dans cet article, je vais revenir sur 3 rencontres avec l’auteur. Tout d’abord la mienne, ensuite j’ai rédigé un compte rendu de sa conférence et pour finir la vidéo de la rencontre internationale avec Suehiro Maruo.
Meloku: En lisant Wet Moon, j’ai beaucoup apprécié le fait que la cicatrice du héros soit un marqueur temporel…
Atsushi Kaneko: Ah, je suis content que vous l’ayez noté, c’est vraiment ce que je voulais faire. Je souhaitais que le lecteur ait le point de vue de Sata et qu’il suive l’histoire à son rythme. Vous verrez, dans les prochains tomes, vous serez encore plus perdus.
M: Ayant lu Soil, je n’en doute pas !
M: Pourquoi avoir pris comme symbole la lune de Méliès ?
A: Je voulais que la lune soit au centre du récit. Et pour la représenter, je souhaitais dessiner une figure qui soit connue de tous. De là est venue l’idée de la représenter de cette manière.
M: Vos mangas ne ressemblent à aucun autre, aussi lisez-vous des mangas ? Il y a-t-il des auteurs que vous affectionnez ?
A: Non, je n’en lis pas vraiment… En revanche je peux vous confier que j’adore Suehiro Maruo.
M: Et enfin, vous pouvez nous parler un peu de Deathco, votre nouveau manga ?
A: Pour l’instant je n’ai publié qu’un chapitre. Dans le manga être tueur à gage est un métier tout à fait normal. J’ai voulu réaliser un manga humoristique pour contraster avec la noirceur de Wet Moon.
[Kaneko dessine le personnage de Bambi]
A: Au Japon, on me demande souvent de dessiner Bambi quand je présente Wet Moon. C’est un personnage très populaire.
M: Merci M. Kaneko !
A: Merci à vous, on se voit demain !
Et en effet, le lendemain avait lieu la conférence d’Atsushi Kaneko dans la salle Georges Méliès, ça ne s’invente pas… En voici le compte rendu:
Question: Avec vos mangas, on découvre une ouverture à la bande dessinée underground japonaise, violente et sexy, qu’on avait jamais vu à Angoulême ?
Atsushi Kaneko: Je pense que la culture BD est unique en France. Les gens ont une lecture très approfondie et c’est pour cette raison que les éditeurs cherchent à proposer autre chose que des productions mainstreams. Je suis donc très honoré d’être là.
Q: C’est votre quatrième visite à Angoulême ?
A: Oui, ma première venue date d’il y a 7 ans.
Q: A chaque nouvelle série, vous êtes invité ?
A: Oui, je suis très heureux d’être là, d’autant que je reçois un très bon accueil du public. J’ai l’impression que mon travail est plus aimé en France qu’au Japon.
Q: Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
A: Quand j’étais enfant, tout le monde lisait des mangas, moi y compris. Puis dans l’adolescence, j’ai délaissé les mangas pour m’intéresser de près au rock et au punk. Et enfin, quand j’ai commencé à travailler, il m’était impossible de faire ce dont je rêvais: réaliser des films. Du coup j’ai cherché un métier où je pouvais tout faire moi-même, c’est comme ça que j’en suis venu au manga.
Q: Et vous n’avez pas tenté de devenir musicien ?
A: J’aurais bien voulu, mais je n’ai aucun talent. Je pense que si on se consacre à quelque chose, autant briller. Pas forcément être le meilleur, mais au moins se démarquer des autres.
Q: Vos premiers travaux ont été en tant qu’illustrateur ?
A: Oui, j’ai commencé comme illustrateur. J’ai beaucoup d’amis dans le punk, alors je réalisais des flyers.
Q: Et vous viviez dans quelle ville ?
A: A Tokyo.
Q: Dans Bambi, on sent une touche occidentale, vous avez été influencé par les comics ?
A: Non, je n’ai pas été influencé par des comics, mais plus par la culture punk et des illustrations.
Q: On voit que vous avez des tatouages, vous pouvez nous dire ce qu’ils représentent ?
[Kaneko retire sa veste et soulève la manche de son t-shirt]
A: Celui-là c’est la plante qui fait office de monstre dans La petite boutique des horreurs.
Q: Vos dessins ressemblent à des tatouages, vous en avez réalisé ?
A: Oui, j’ai eu l’occasion de dessiner des motifs de tatouages. Mais je n’ai jamais piquer la peau directement. Ca me fait trop peur, on ne peut pas effacer…
Q: Vos pouvez nous parler de vos premiers mangas ?
A: Ma première œuvre s’intitule Le rock and roll n’est qu’un tissu de mensonge. Mais, au Japon, il est épuisé. Je ne veux pas qu’il soit réimprimé car je n’en suis pas satisfait. Par la suite j’ai fait beaucoup d’histoires courtes. On peut dire que ça m’a servi d’entrainement pour Bambi et Soil.
Q: Vous pouvez nous parler du type de magazine dans lequel vous publiez vos mangas ?
A: J’ai publié toutes mes séries dans le Comic Beam. C’est un magazine ni mainstream ni underground, c’est expérimental mais accessible. Le public est très varié, tout comme les histoires qui composent le magazine.
Q: Quels autres artistes sont publiés dans le magazine ?
A: Il y a Suehiro Maruo. Et aussi Kaoru Mori.
Q: Quelle est la part d’improvisation dans Bambi ?
A: Avec Bambi, j’ai voulu m’éloigner très fortement de mes travaux précédents dans la façon d’écrire. Avant, il y a avait un début et une fin. Et là, j’ai écrit l’histoire au fur et mesure. Je pense que c’est ainsi que j’ai pu toucher un public plus large.
Q: Vous travaillez avec des assistants ?
A: Non, je n’ai jamais eu d’assistant.
Q: C’est un choix courant au Japon ?
A: On est de plus en plus nombreux à vouloir faire des mangas sans assistant.
Q: Où avez-vous appris à dessiner ?
A: Je n’ai jamais vraiment appris… Je dessine depuis toujours, et, enfant, ma mère faisait des recueils avec mes dessins. Elle en était fière.
Q: Comment se déroule votre journée de travail type ?
A: J’ai une vie très ordonnée, et je suis des règles très strictes. J’ai un petit garçon et donc ma vie tourne autour de lui. Je me lève à 6h30 et je commence à travailler à 9h.
Q: Votre découpage est cinématographique, vous pouvez nous en parler ?
A: Adolescent j’ai stoppé les mangas et je me suis intéressé au cinéma. Je n’avais pas envie de m’inspirer d’autres auteurs de mangas. Je voulais reproduire ce que j’aime dans le cinéma en manga.
Q: Quel type de films vous inspire ?
A: Surtout des films américains, et même européens. Pour Bambi je me suis beaucoup inspiré des films de Sam Raimi, et également de La horde sauvage.
Q: Qu’est ce que vous aimez dans le manga ?
A: J’aime surtout les mangas comiques, je n’aime pas lire d’histoires sérieuses…
Q: Pour les couleurs, vous utilisez un ordinateur ?
A: Aujourd’hui oui, mais avant, à l’époque de Bambi, j’utilisais un pinceau. J’ai changé de méthode de travail car c’est plus pratique pour les dégradés.
[Kaneko regarde une illustration en couleur de Bambi projetée derrière lui]
A: Mais ça rendait déjà pas mal les dégradés au pinceau !
Q: Il y a des ressemblances entre Bambi et Tank Girl, vous vous en êtes inspiré ?
A: Non, je connais les dessins, mais je n’ai jamais lu.
Q: Vous avez fait des illustrations pour le cinéma ?
A: Oui !
Q: Et avez vous sorti des artbooks ?
A: J’en ai sorti un il y a longtemps.
Q: Soil est un manga assez compliqué à comprendre, pouvez-vous nous en faire un résumé ?
A: Alors… C’est très compliqué à expliquer ! L’action se déroule dans une new town. Une famille tout ce qui a de plus ordinaire disparait, et elle est remplacée par un gros tas de sel. A partir de là, la police mène son enquête, mais elle est vite confrontée à la frontière entre la réalité et le fantastique. Petit à petit, les habitants sont happés par le monde fantastique, et ça devient le bordel !
Q: L’enquête n’est pas gagnée, à la tête des héros ?
A: Oui, ils sont surtout là pour apporter une dose d’humour.
Q: Quelles ont été vos inspirations pour les deux enquêteurs ?
A: J’ai repris un cliché de la littérature policière, celui du vieux flic accompagné d’un jeune bleu, et je l’ai exagéré à l’extrême. Concernant les noms de Onoda et Yokoi, je me suis inspiré de personnes ayant réellement existées. Il s’agit des noms de deux soldats japonais envoyés aux Philippines et qui ont vécu des années tout en ignorant que la guerre était terminée. Ils ont donc vécu dans un univers fantasmé. Mais, même au Japon, personne n’a fait le lien entre les personnages de Soil et ces deux soldats.
Q: Soil est donc différent de Bambi ?
A: A l’époque de Bambi, j’étais catégorisé comme un auteur rock and roll. Je voulais ainsi montrer une autre facette de mon travail. Et j’avais également le souhait de dérouter les lecteurs de Bambi.
Q: Vous avez visité le musée du quai Branly, y a-t-il un rapport avec l’arrière fond concernant les premières populations japonaises dans Soil ?
A: Avec Soil, j’ai voulu montrer qu’un incident dans notre quotidien peut être un élément révélateur de ce qu’il y a de plus primitif en nous. Je me suis donc inspiré des masques exposés au quai Branly, mais l’idée est venue d’une pochette d’un groupe de post-punk.
Q: Wet Moon est également le titre original ?
A: Oui.
Q: Vous pouvez présenter le manga ?
A: L’idée de départ était de raconter le manga comme un film d’une heure et demie. Il s’agit d’une histoire policière se déroulant dans une station balnéaire du Japon des années 60. En traquant une fugitive, un jeune enquêteur se retrouve avec un éclat métallique logé dans le crâne, ce qui provoque chez lui des pertes de mémoire et des hallucinations. Il n’est plus capable de discerner le réel. En plus, il entouré de ripoux. C’est donc une histoire de la traque d’une femme et de corruptions, avec des allés/retours dans le temps. C’est un manga très sombre, assez différent de Bambi et Soil.
Q: Vous êtes-vous essayé à la réalisation de film ?
A: Oui, j’ai réalisé un segment de Ranpo noir. C’est adapté de l’univers d’Edogawa Ranpo. Ca parle d’un jeune homme amoureux d’une actrice, qui la tue pour qu’elle lui appartienne entièrement. Il emmène son cadavre, mais, au fil du temps, il se décompose. Il va donc tout essayer pour arrêter ça, ce qui va le rendre de plus en plus fou.
Note: le film est disponible sur Youtube en anglais et espagnol (partie 1/partie 2).
Q: Comment s’est déroulée l’expérience ?
A: J’ai donné une vision très claire de ce que je voulais faire à l’ensemble de l’équipe. Pour cela, j’ai réalisé un story-board complet et très détaillé. Comme je suis dessinateur, ça aide !
Q: On peut trouver ce story-board quelque part ?
A: Il en parti disponible dans l’édition japonaise du DVD.
Q: Le cinéma, c’est une expérience que vous souhaiterez renouveler ?
A: Oui, évidemment ! D’ailleurs l’idée de Wet Moon vient d’un producteur de cinéma. Mais le projet n’a pas pu aboutir, le coût du film étant trop élevé du fait que l’histoire se déroule dans les années 60. Faire des reconstitutions a un prix très élevé…
Q: Il existe un va-et-vient courant entre manga et cinéma/tv ? On connait notamment Hideshi Hino.
A: Oui, mais ce n’est pas souvent que les mangakas passent eux-mêmes derrière la caméra. Les mangakas-cinéastes sont rares.
Q: Si Wet Moon devait être adapté au cinéma, par quel réalisateur voudriez-vous qu’il soit porté ?
A: Seulement par moi-même !
Q: Et pour vos autres mangas ?
A: Toujours par moi, je veux tout faire moi-même !
Q: Vous intéressez-vous au cinéma d’animation ?
A: Non, du tout. Ca me rebute…
Et pour conclure cet article, je vous laisse le soin de découvrir la rencontre internationale entre Atsushi Kaneko et Suehiro Maruo en vidéo:
C’est marrant, j’ai vu Memento pour la première fois la semaine dernière, et les blessures au visage servaient également de marqueur temporel. Je me demande si ça vient de là.
En tout cas, j’ai lu cet auteur pour la première fois avec Wet Moon et j’ai hyper accroché. Je ne vais tarder à prendre Soil et les premiers tomes encore disponibles de Bambi (en espérant une réimpression totale).
C’est en effet possible qu’il s’en soit inspiré. Je n’ai plus cet élément du film en tête.
Pour Soil, tu devrais aimer, quoi qu’en dise Kaneko, c’est dans la même veine que Wet Moon.
Aucun doute =D
Tiens, on pourrait en profiter pour lister les références :
– Memento donc, pour la cicatrice et les pertes de mémoire
– La lune de Méliès
– Un ciné qui diffuse « ..Et pour quelques dollars de plus » de Sergio Leone (:love:)
– l’univers bling-bling me fait beaucoup penser au miami de Scarface, avec ses entrées dans des bars louches où se mêlent gangsters et flics véreux
– le coup du morceau de métal, ça m’évoque le pitch des films « Tetsuo » (que je n’ai pas vus).
C’est tout ce que j’ai pour le moment.
Moi, l’univers m’a beaucoup plus rappeler Blue Velvet que Scarface. D’ailleurs le début de Soil m’a vraiment fait penser à Twin Peaks (toujours de Lynch), non seulement dans l’histoire, mais également dans la mise en scène.