Parmi les mangakas attendus en France, Shuzo Oshimi fait partie des plus côtés. En effet, difficile de passer outre ses deux gros succès que sont Drifting Net Café et, surtout, Les Fleurs du Mal. Que ce soit en format numérique ou physique, les deux mangas ont été publiés un peu partout en occident. Sauf en France. Et comme il faut bien commencer quelque part, les éditions Akata ont eu la merveilleuse idée de publier Dans l’intimité de Marie. Une série plus récente, mais non moins intéressante.
Débutée en 2012 dans les pages de Manga action, la série de Shuzo Oshimi a un pitch simple et affreusement banal. Isao est un étudiant paumé. Il ne va plus en cours et passe son temps enfermé chez lui, à flâner devant des jeux vidéo ou des films pornographiques. Tous les soirs, à la même heure, il se rend à l’épicerie du coin pour mater une lycéenne… et la suivre jusqu’à chez elle. L’histoire débute par une scène, normalement quotidienne, d’espionnage. Sauf que la jeune fille se rend compte qu’elle est suivie, se retourne, fixe notre stalker en herbe et lui sourit. S’en suit un trou noir, Isao se réveille et se rend compte que son esprit est dans le corps de Marie, la lycéenne. Un fantasme de changement de genre vu et revu laissant supposer un récit bourré de poncifs. Et pourtant…
Ouais, et pourtant. Parce qu’avec sa couverture aguicheuse et son synopsis commun, on pourrait croire que Dans l’intimité de Marie soit la foire à la petite culotte et autre fan service nauséabond. Mais l’auteur prend rapidement le lecteur à contre-pied. Là où dans n’importe quel manga Isao aurait ausculté le corps de Marie de fond en comble, celui-ci refuse la voir nue. Il ferme les yeux quand il se change, se les bande quand il prend un bain et cetera. Et ce qu’Isao ne voit pas, le lecteur ne le voit pas non plus. Non, Shuzo Oshimi a d’autres intentions avec son manga.
Déjà le mangaka fait part de son désir de changer de sexe. Ce n’est peut-être pas poussé certes, mais il y pense. Pas seulement via un travestissement ou une opération, mais grandir comme une fille, être élevé en tant que tel. Avec ce manga, il nous montre le fossé qu’il existe entre les genres de part l’éducation, l’entourage et tout le reste. Par exemple, fraîchement femme, Isao n’a pas le même regard qu’aurait eu Marie sur ses petites camarades. Le sien est lubrique, intéressé par un désir charnel. Autre situation, lorsque qu’il sort dans la rue en uniforme de lycéenne, il se rend compte que de nombreux regards d’hommes se posent sur lui. Chose qu’il n’imaginait pas avant d’entrer dans la peau de Marie. Shuzo Oshimi fait part de sa vision et de sa réflexion par le biais de nombreux exemples du genre.
Et le tout, c’est à noter, sans sexisme. Je veux dire par là que si l’un des sujets de base de la série est la différence de point de vue entre un homme et une femme, l’auteur traite les deux sexes avec le même regard : tantôt bienveillant, tantôt acerbe. Isao est un protagoniste typique de Shuzo Oshimi : un jeune homme cultivé mais solitaire. Dans le fond c’est un bon garçon, mais il n’en reste pas moins un pervers. Pour Marie, c’est le contraire. Une lycéenne populaire, décrite comme pure et innocente. Pour autant son sourire lorsqu’elle se rend compte qu’elle est suivie pourrait être révélateur d’une face cachée. De ce fait, bien que différents, les caractères des protagonistes tendent à se rejoindre. D’autant qu’Isao fait la rencontre d’une jeune fille, soit disant amie de Marie, qui semble avoir quelques troubles obsessionnels…
Mais revenons au personnage d’Isao, car il est l’un des principaux atouts du bouquin. Plus qu’Isao en lui-même, c’est le type de protagoniste de Shuzo Oshimi qui est intéressant. Un jeune homme effacé de la société, dont tout le monde se contrefiche. Ici, il est mis en lumière. Alors ce n’est pas très reluisant, c’est même assez cru par moment, mais ça a le mérite de dresser un portrait assez sombre d’une certaine jeunesse trop souvent oubliée. Lubrique et pervers, le héros de Shuzo Oshimi n’est clairement pas un personnage dans lequel on aime se reconnaître. Et pourtant, de nombreux lecteurs pourront y trouver un écho à leur existence.
Le manga regorge de qualité pouvant donc l’ériger comme une pièce maîtresse de beaucoup d’amateurs. Mais c’est sans compter ses quelques défauts. Dans l’intimité de Marie est parsemé de situations alambiquées, de personnages qui tombent au bon moment pour établir des déductions sorties de nulle part et qui ne sont franchement pas évidentes (sérieusement, comment peut-on déduire que quelqu’un a pris le contrôle du corps de votre camarade à cause du vocabulaire qu’il utilise ?) et cetera. Tout cela est en contraste avec les personnages travaillés et tend à casser la crédibilité du récit. C’est dommage.
Ce même contraste, on le retrouve dans le style graphique de Shuzo Oshimi. Les personnages sont bien dessinés, tous différents les uns des autres. Mais ils sont tellement banals… Une sensation de vide s’installe alors. Le manga aurait clairement gagné en intensité en détaillant plus les visages, avec de petits traits sombres. Et c’est d’autant plus frustrant que les décors sont travaillés de cette manière. C’est sombre, fouillé, presque sale. Je pense notamment à l’uniforme de Marie : de toute beauté !
On est donc face à un bon manga, bien meilleur que sa couverture et son synopsis laissent présumer. Dans l’intimité de Marie regorge de bonnes idées, casse des clichés, met en lumière une face de la jeunesse oubliée et témoigne de la vision homme/femme de son auteur. Malheureusement, il est difficile d’être tranché avec ce titre, étant donné qu’une sensation de vide parvient à s’installer. Néanmoins je fais ma fine bouche, car Dans l’intimité de Marie reste une excellente introduction à la bibliographie de son auteur. Maintenant, il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que d’autres titres de Shuzo Oshimi soient publiés en France, Les Fleurs du Mal en tête, tout en continuant à lire le titre présenté aujourd’hui. En effet, son relatif succès pourrait très bien décider de l’avenir du mangaka dans notre pays (et puis c’est un très bon manga quand même).
Je viens de me procurer Saru que tu as bien vendu et là tu nous proposes encore un manga alléchant ! Merci pour cet article, j’irai jeter un œil sur ce titre.
Cool, j’espère un article sur Mangalerie :)
Je finis la lecture de fullmetal alchemist et pourquoi pas oui, si ça m’inspire.
je ne connais pas du tout ce mangaka et la couverture aguicheuse me laissé de marbre, mais ton article me donne envie de découvrir ce manga, j’y regarderais de plus près la prochaine fois :)
En tout cas si tu le lis, je veux bien avoir ton avis :)