Petite Forêt, la vie au vert (et au blanc)

Il est parfois avisé d’aller à l’encontre de ses actes d’achats habituels (et des disponibilités en boutique). On peut tomber sur de belles petites surprises en brisant la glace de la routine. De nouveaux panoramas quasiment vierges de toute civilisation peuvent se découvrir sous nos pieds. Il en est question de virginité littéraire d’ailleurs, lorsque j’évoque les œuvres de Daisuke Igarashi.

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L’appétit vient aussi en lisant

Parce que 2016 est pour moi l’année de toutes les nouveautés et de toutes les folies, je me suis dit qu’il ne serait pas désagréable de lui accorder quelques centimètres carrés dans ma bibliothèque. Surtout avec l’aura positive qui se dégage de cet auteur un peu partout sur la toile et dans la presse papier. Aléas du panier : à vos marques ! Objectif numéro un, trouver Sorcières son hit. Finalement c’est Petite Forêt, et ses deux tomes feuillus, qui gisent dans le panier bling bling et qui arrivent en grande pompe dans mon sanctuaire. Peu importe la couleur du pot tant que c’est la même marque hein.


L’arbre qui cache la forêt
Comme Sorcières (je l’aurai un jour) et Patati Patata c’est Sakka, face manga de Casterman qui a publié en France, le diptyque agraire d’Igarashi. Un mangaka qui inspire et respire de toutes ses forces. Pour la petite histoire, Petite Forêt faisant partie, au même titre que les deux autres cités plus haut, de la vague alternative du manga initiée par Frédéric Boilet (qu’on ne présente plus) il y a déjà plus de dix ans. Igarashi, adepte de l’école de la qualité au détriment de la quantité (je signe où?), délivra avec Petite Forêt son troisième récit. Un récit (et il ne s’en cache pas) très personnel.

Un manga qui se déguste
Maquillant sa propre autobiographie avec Ichiko personnage central de ces anecdotes cent pour cent rurales. Petite Forêt c’est kawaii comme titre mais c’est avant tout la traduction de Komori, hameau gringalet situé dans le nord du Japon. Ichiko, Komori, Igarashi, on a les bases pour faire partir en cuisine une belle portion de tranche de vie.

L’image gastronomique est à peine exagérée. C’est en grande partie de bouffe, mais de bonne bouffe dont traite Petite Forêt. Un gueuleton étalé en quelques trente trois plats préparés et affinés en deux tomes biens en chair de 180 pages chacun. Preuve en est l’habillage vraiment bien pensé et en totale adéquation avec le contenu. On bouscule les habitudes, sommaire sort et laisse sa place à menu et les squatteurs chapitres et épisodes échangent avec plats.

Se faire péter la panse ça se mérite !
Le manga de Daisuke Igarashi va plus loin que le bout de la poêle et explore de manière singulière l’art et la passion de cuisiner. Plus que le plaisir gustatif, Igarashi met en avant les ressources et l’énergie nécessaire avant d’atterrir dans l’assiette. Ichiko se retrouve héritière malgré elle d’une maison reculée (à Komori donc) et va devoir, en l’absence de sa mère subsister tant que bien que mal avec ce que la nature a de mieux à lui offrir.

Côté cadeau elle va être gâtée car heureusement pour elle, les terrains et les hectares accolés à sa maisonnette sont aussi dans le package. Tout cadeau pouvant être empoisonné, il est évident que la gestion d’un tel patrimoine seule est un véritable suicide. Fuir ? On ne peut pas reprocher à la jeune fille sa passivité. Mais la ville a ses propres exigences. Cuisant échec pour Ichiko. Sa tentative de vie citadine n’ayant pas eu l’épanouissement souhaité, elle revient vers le naturel humain et la verte (et on va le voir très blanche aussi) simplicité de son hameau sans sourciller.

Et même en arborant un sourire inestimable. Ce n’est pas survivre par ses propres moyens mais vivre avec tout l’éventail de nourriture qu’elle peut exploiter. C’est sa passion pour ce style de vie qui va l’alimenter malgré les caprices climatiques les plus virulents. L’apprentissage tissé par sa mère et par les autres résidents à proximité l’a décuplé. L’enthousiasme est primordial pour apprécier les bienfaits de la nature mais il faut la fibre, la force qui permet de ne pas flancher et de supporter l’insupportable.

Ténacité, soif de savoir et passion égal Ichiko
La force de ce titre c’est Ichiko. « Un sacré bout de femme ! » comme on peut l’entendre au détour d’un comptoir. On aurait pu croire qu’elle avait abandonné Komori pour la ville, parce qu’elle avait baissé les bras face à l’immense challenge qui l’attendait dans le labour et dans la récolte, dans l’humidité étouffante ou dans le froid paralysant. Il n’en était rien. Un peu comme un personnage féminin de Miyazaki, sa force de caractère et son abnégation à abattre les tâches quotidiennes, à exploser les trente cinq heures hebdomadaires est sans pareille. Bien sûr les bons conseils de locaux et de sa mère lui ont forgé le mental et les bonnes méthodes à adopter face à la rigidité que peut représenter une entreprise agricole en petit comité.

C’est là toute la mécanique de Petite Forêt, chaque plat parle d’une difficulté ou d’une ressource alors inexploitée qu’elle va mettre en pratique pour optimiser ses récoltes et ses provisions. Jusqu’à arriver dans les papilles. Le réconfort après l’effort est toujours mis en avant. Ichiko apprécie le travail bien fait aussi bien qu’elle déguste ses trouvailles.

Petite Forêt mais Grand Respect pour la nature. On rejoint les épris du vert tels Nausicaä ou Ginko. En plus des recettes imaginées par Ichiko (dont beaucoup sont détaillées dans les livres), Daisuke Igarashi rend un magnifique hommage à notre bonne vieille planète avec des planches fourmillantes de détails, même insignifiants pour l’œil non attentif. Le respect de la mère nature passe par les dessins et aussi par les messages.

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Une forêt bouillonnante de vies

Le retour aux sources d’Ichiko n’y est pas étranger. Toute chose comestible est considéré comme une offrande qu’il ne faut pas gâcher et que tout paiement (bouffe) mérite labeur. Voilà les grandes lignes. Daisuke Igarashi veut démontrer dans l’adversité du cycle des saisons et des grands écarts du thermomètre, combien il est difficile d’avoir ce que l’on désire et que rien ne se fait sans sacrifice. A l’opposé de la facilité, du tout prêt, de l’impatience valorisée par nos mégalopoles contemporaines. Cette recherche de reconnaissance du milieu agricole, de ce lien inviolable avec nos assiettes et de son importance cruciale à notre survie est d’autant plus vrai lorsque l’on lorgne sur les fins de chapitres illustrant régulièrement des expériences propres à l’auteur.

Ichiko, Igarashi, itinéraires parallèles
La publication de Petite Forêt est étroitement liée avec sa parenthèse vécue dans la province d’Iwaté au nord du Japon. Un alter ego parfait de Komori. Un septennat d’une vie à la dure dans lequel il s’est constitué un mode de vie identique à sa création Ichiko, dans le seul but de pouvoir vivre en autarcie et en symbiose avec cette nature qu’il affectionne tant et qu’il fait transparaître avec tant de soin dans Petite Forêt.

J’ai tenté de décrire une autre manière de vivre. Dans une ville, on achète tout, tandis qu’à la campagne, les gens ont un mode de vie autosuffisant, or il est important de savoir d’où provient ce qu’on mange.

J’ai rencontré à la campagne des gens qui ont l’espoir de rendre le monde meilleur avec simplicité et optimisme. Comme eux, je pense qu’un autre monde est possible.

Extraits du portrait de Daisuke Igarashi en conclusion du tome 2.

Partageons
Petite Forêt n’est clairement pas le titre qui va scotcher tout le monde, son parti pris ne distillant qu’à petites doses ses effluves de narration et d’action est atypique. La majeure partie du récit traitant avant tout de techniques de culture, de cueillettes sélectives, de fermentation ou de conservation. L’amertume d’Ichiko concernant son futur, son anxiété concernant ses amours, tout cela n’est relégué qu’au second plan. Dommage mais était-ce vraiment ce que Daisuke Igarashi a voulu mettre en avant ?

Petite Forêt c’est un récit de partage. Il transmet des valeurs fondamentales de respect, aussi bien sur le fond que sur la forme. Il transmet des savoirs précieux : un vaste champ lexical agricole est à portée de bulles et un bon paquet de recettes inconnues et appétissantes, sans fascicule. Il transmet la magie d’un lieu reculé et grouillant de vies avec ce que le dessin peut apporter de meilleur. Ce qu’il m’a transmis c’est l’envie d’en lire plus, toujours plus.

3 réflexions sur “Petite Forêt, la vie au vert (et au blanc)

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