Tract de Shintaro Kago : reprendrez-vous des spaghettis à la sauce eroguro ?

Après une première collaboration qui a donné lieu à l’excellent Industrial Revolution and World War en 2015, la maison d’édition italienne Hollow Press croise à nouveau la route de Shintaro Kago (présenté par moi-même ici) pour donner naissance à Tract. Présenté sous la forme d’une exposition au Toronto Comic Arts Fetival, le bouquin est désormais disponible sur le site de l’éditeur au prix de 20€. On est loin du format manga traditionnel, l’ouvrage étant composé de 64 pages entièrement en couleurs publiées en A4. Et nul besoin de comprendre l’italien, le japonais ou que sais-je : comme son prédécesseur, Tract est une BD muette.

Track Shintaro Kago cover

Une jeune femme rentre chez elle, quand un homme à terre lui attrape la jambe. D’apparence malade, des sortes de fils lui sortant de la bouche, elle le repousse violemment avant de continuer son chemin. Dès lors, elle voit ces fils, ressemblant presque à des vers, partout.

Un homme sert à sa femme un plat de spaghettis, mais celle-ci le repousse. On comprend vite qu’elle lui préfère une femme et la scène vire au spectacle sanglant, avec les fameuses pâtes en invitées d’honneur.

Des femmes bossent dans une usine fabriquant des télévisions, quand soudain l’une d’entre elles se blesse entre les câbles, perd le contrôle d’elle-même et fonce dans le mur pour mourir. Rien ne va plus dans l’usine quand les filles se rebellent contre leurs étranges gardiens…

Une famille banale mange quand tout à coup tous ces membres se mettent à vomir des fils dégueulasses à mi-chemin entre des organes internes et des spaghettis. Quand ça ne peut plus sortir de la bouche, ça dégouline du nez, des yeux… La famille meurt mais la pandémie se poursuit : chaque personne ayant été en contact avec les malades est contaminée.

Les quatre histoires ont un point commun évident : les fils. Ils sont partout ! La base de l’horreur de Tract se situe donc dans ces éléments mis en scène de manière plutôt dégoutante. Ils parcourent les corps, en sortent par les extrémités. Ils dégoulinent, on n’arrive pas à s’en débarrasser. L’horreur, malsaine, est poussée à l’extrême en esthétisant les modifications corporelles et autres corps inertes. En lisant les différentes nouvelles, on arrive à se mettre à la place des personnages ; le spectacle offert par Shintaro Kago ne rebute donc pas uniquement par son aspect à visuel, on le sent, on l’imagine, on le vit, ça nous démange !

Si Tract a de quoi mettre mal à l’aise bien des lecteurs, il serait dommage de le réduire à ça.  On connaît le goût qu’a le mangaka pour nous surprendre, proposer des fins qui remettent en cause l’histoire qu’on a lue, et sa nouvelle œuvre ne déroge pas à la règle. On se trouve face à des récits bien construits (avec une logique que j’aime qualifier de maladive) dont certains points de compréhension sont laissés à l’appréciation des lecteurs. De plus, on dénote des thèmes chers à Shintaro Kago comme celui de la folie (les fils existent-ils ou sont-ils hallucinés ?, le genre de question qui a accompagné ma lecture) ou encore un univers typé SF.

shintaro kago guro manga

Mais ce qui marque le plus dans le livre de Hollow Press, ce sont les dessins. Ce n’est pas pour rien si une exposition a été organisée à Toronto et que les planches sont à vendre. Déjà, le bouquin marque car la narration est uniquement graphique. C’était déjà le cas dans le tout aussi muet Industrial Revolution and World War, mais c’est encore mieux maîtrisé à présent. On comprend facilement les situations et où Shintaro Kago veut nous mener. Seuls les éléments sujets à interprétation ne sont pas explicites. Mais bon, c’est fait exprès, l’artiste aimant se jouer du cerveau de ses lecteurs…

Les aquarelles de l’auteur sont aussi magnifiques qu’elles sont sordides. Une beauté dérangeante plus esthétisée que jamais qui nous prouve que Shintaro Kago est au sommet de son art. Et puis cette obsession du fil, du câble, du vers, du spaghetti est fascinante. On en prend plein les yeux via des situations toujours plus variées, toujours plus inventives.

track shintaro kago review

En guise de conclusion, je vous offre un précieux conseil : ne prévoyez en aucun cas de manger des spaghettis après la lecture de Tract.

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4 réflexions sur “Tract de Shintaro Kago : reprendrez-vous des spaghettis à la sauce eroguro ?

  1. Première oeuvre de Shintaro Kago que j’ai pu lire (enfin plutôt parcourir des yeux) et pour une première, je ne suis pas resté sur ma faim… Ces différents petits récits ont été un plaisir à feuilleter. Cette obsession du fil, du vers, du spaghetti, du câble et autres vaisseaux m’a fait penser au fait que l’auteur essayait (peut-être) de déstructurer le corps humain, comme si les veines, les artères et les capillaires prenaient vies. Le dessin est quant à lui sublime, très doux et coloré ce qui tranche avec le propos et le rend encore plus captivant. Bref, c’est géniale !

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