Une Sacrée Mamie, Saga riche en émotions

Pour tout vous dire, Une Sacrée Mamie est le genre de manga que je n’aurai même pas pris la peine de regarder sur un étal et encore moins de retirer d’un facing en librairie. Je n’ai rien contre les grands-mères et les générations précédentes, loin s’en faut. Pas seulement parce qu’elles ont fait pipi avant moi. Je ne suis juste pas vraiment dans ma tasse de thé avec le manga mis en avant comme familial. Une Sacrée Mamie ne devrait pas déroger à mon ego de conduite. Ces bons vieux préjugés laissent toujours une amertume particulière lorsqu’au final un contre-exemple vient les briser en mille morceaux. Toujours empressé de prendre mes volumes manquants et de lorgner sur le même type de lectures, j’en oublie des fois que des titres tout en simplicité ne tablant que sur le casting mères, filles et fils, rivalisent avec les trucs les plus fouillés et complexes qui soient.

Le prêt de l’intégrale de la série m’a convaincu d’autant plus vite de cette vérité. Affirmation qui existe heureusement pour beaucoup d’autres titres qu’Une Sacrée Mamie. Là, comme ça à chaud, je ne fais sortir de mon chapeau que du Yotsuba& ou du Mes Voisins les Yamada. En creusant beaucoup ressortent. Les titres dits familiaux sont loin d’être une cible de niche. Ils traitent du sujet dans toutes les mesures et sous tous les angles possibles. Il y en a pour toutes les bourses. Ici, aucune ardoise à régler pour onze tomes chargés en chapitres. L’avantage du prêt m’évitant d’avancer piécettes et me dotant du tout à portée de main. Nul risque, nulle attente. Que demande le peuple ?  Après digestion, intérêt zéro pour le titre ou flamme immédiate ?

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L’écharpe de rigueur, même en cas de temps doux, est l’apanage de nos aïeux.

De quel sacré parle t’on ?
Une Sacrée Mamie est avant tout un choc de générations. Une rencontre unique entre deux membres d’une même famille que tout sépare sur le papier. L’un est originaire de la ville d’Hiroshima (le petit Akihiro) et l’autre est ancrée dans la petite province rurale de Saga (la Sacrée Mamie). En proie à un contexte économique des plus difficile et des années 50 synonymes de reconstruction pour l’ensemble du pays, le labeur ne suffit plus à nourrir toute une famille. Et c’est le petit Akihiro du haut de ses huit ans qui va subir l’injustice d’un départ forcé. A bord d’un train en aller simple vers l’inconnu, il va devoir partager la vie et les enseignements d’une grand mère dont les idées et les coutumes le dépassent. Et pourtant l’alchimie va prendre. Un travail de longue haleine mais qui s’avère inestimable. Inestimable en terme d’amis, d’expériences et de rencontres. Ses journées seront bien remplies et riches d’enseignement. La différence d’âge n’était pas forcément le facteur le plus déroutant. Si la bonne humeur et la nonchalance de mamie Osano face aux problèmes fonctionnait et que les activités du petit bonhomme l’occupait à plein temps. Son estomac comme beaucoup criait famine et demandait toujours plus.

Savant équilibre entre misères et sourires, le titre d’Akata puise sa source dans un roman autobiographique, et lui donne un œil neuf et plus large. Une Sacrée Mamie a d’ailleurs goûté à l’engouement populaire au Japon avec une déclinaison en pièce de théâtre ainsi qu’en jeu vidéo. Le vent en poupe Dame Tokunaga.

Une adaptation libre
Autant commencer l’autopsie par un bon coup de bistouri. Première vérité, Une Sacrée Mamie n’est pas une œuvre originale. Elle prend son envol à partir d’un roman et y intègre nombre d’éléments imaginés. Avant de voir pulluler les « bouh » contestataires, il faut souligner le fait que le procédé n’a rien d’anormal ou d’abject. Le processus de création de ce manga suit un peu la même tendance que dans les autres médias, bien que le septième art reste leader incontesté dans la pratique. Là où l’on frôle l’overdose dans les salles d’Hollywood et de Navarre, le manga reste un échantillon moins étendu.

Vagabond d’Inoue Takehiko est basé sur le roman biographique Musashi d’Eiji Yoshikawa. Le dernier Mizoguchi, Chiisakobé, s’inspire librement d’une création de Shugoro Yamamoto. Le degré d’inspiration est aussi aléatoire qu’il y a d’auteurs différents. Dans chaque liste de lecture, il arrive parfois qu’on tombe sur des travaux d’adaptation comme ce fut mon cas récemment avec F The Perfect Insider chez Soleil. Même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, rien ne les condamne d’emblée comme les vilains petits canards du genre.

Saburo Ishikawa aux dessins, Shimada chef d’orchestre
Saburo Ishikawa l’homme derrière les dessins d’Une Sacrée Mamie, s’abreuve de la vie rustique narrée dans le roman autobiographique de Yoshichi Shimada. Il va aussi scruter les photos, arpenter les lieux et rencontrer des personnages récurrents du récit original. Tout ce qu’il faut pour satisfaire le fond de l’œuvre en devenir. On est ici face à un travail d’adaptation différent de ceux présentés plus haut.

Un binôme. Shimada participe activement au projet en tant que scénariste. Il conserve l’ossature vitale (Akihiro, Osano ou Nanri) et y introduit tous les joints issus de son imaginaire. En plus de l’imaginaire narratif, noms et prénoms sont d’emprunt. Les Shimada deviennent Tokunaga et Yoshichi devient donc Akihiro. Comme Mizoguchi qui produit quatre tomes de son Chiisakobé avec comme muse un petit essai de moins de cent pages, Shimada et Ishikawa voient large. Près de 11 tomes plus tard publiés entre 2006 et 2010 dans le Business Jump et quelques 90 chapitres, le libre arbitre développé en équipe est un travail de grande envergure.

De fil en aiguille, ils ont insufflé une quantité de vies non négligeable. Nanri (le partenaire de jeu principal d’Akihiro) existe, on peut l’apercevoir en chair et en os poser dans des bonus de fin de tome. Mais le reste est imaginé. Le professeur Aota et Mademoiselle Tachibana donnent le tempo. Tanuma, Nishio, Mizuki, Iwata sempai entonnent le refrain. Le voleur itinérant, l’ethnologue Mr James et Ittetsu Jinari le robuste homme de service concluent avec brio. Qu’ils soient partenaires de jeu, enseignants ou autre, tous viennent apporter leurs lumières à ce morceau de choix. Avec comme décor les terres rurales reculées que l’on connaît. Si le manga et le livre débutent sur un drame, nos chefs d’orchestre redistribuent rapidement les cartes.

En quelques encablures et fourmillements de cases, la musique narrative se rapproche plus d’un Hanada Shônen-Shi qu’un obscur gekiga de Cornelius. La lumière n’est pas la même, on s’approche d’un mécanisme humoristique proche de la formule jeunesse. En soi ce n’est pas loin de la vérité.  Même si la fibre de l’abandon est là, le roman de Shimada raconte comment son expérience de vie à la dure avec sa grand-mère l’a conduit à faire le comique dans les années 80 avec son frère (?) Yohachi Shimada. Tout semble être synchronisé entre les deux médias et tout porte à croire que le centre névralgique d’Une Sacrée Mamie est l’humour. Néanmoins, certains thèmes sous-jacents pigmentent quelque peu de noirs et de gris l’annonce de ce joyeux tableau coloré.

Nager entre abandon, pauvreté et contexte historique
Si la végétation environnante tient du comique et le synopsis pouvant tenir en un tweet, le terreau est bien plus sombre. La ligne de départ introduit le déchirement de l’abandon. Et nombre de chapitres et de rencontres entretiennent ce sentiment malheureusement propre au contexte historique. Avec un panorama d’après guerre et un schéma de reconstruction en fond, Akihiro et ses lecteurs font les frais immédiats de cette fracture. La pauvreté gagne les villes et diminue encore les milieux ruraux. D’un côté comme de l’autre la roue tourne dans le mauvais sens. Entre ceux qui souhaitent rejoindre la ville pour tenter l’aventure citadine, et ceux qui finalement n’arrivent pas à joindre les deux bouts et regagnent leurs aïeux dans les campagnes reculées, le bilan n’est pas fameux. Son cas n’est pas d’école, certains sont encore plus en difficulté.

C’est d’ailleurs ce qui rend encore plus admiratif le parcours du jeune garçon. Là où certains mangas prônent le dépassement de soi, le courage et la force de renverser des Goliath en pagaille, l’exploit est ici tout autre. Exit les colosses, les méchants charismatiques et la débauche de puissance, c’est la force d’aider son prochain qui prévaut. Sans jauge de pouvoir et sans attaque spéciale, Akihiro partage son unique bol de riz quotidien et ses trouvailles dans « l’épicerie de la rivière » avec les moins enclins à se remplir la panse. Une Sacrée Mamie sort quand même des clichés laissés par des générations d’animés versant des hectolitres de larmes à la seconde. Je pense de suite pour les plus anciens d’entre nous à Rémi sans Famille, Princesse Sarah ou Clémentine. Ces bons vieux dessins animés qui te plombaient les journées bien comme il faut après les sorties d’école ou les mercredis matins. Les points communs sont pourtant là entre une pauvreté à la limite du supportable et un gamin qui attend régulièrement des nouvelles de sa mère et se réfugie sous les draps pour dégorger le peu de larmes qui lui reste. Les anecdotes et les rencontres sont légion pour démontrer (et c’est la volonté aussi de l’auteur) toutes les difficultés qu’il a rencontré dans son séjour loin du confort et du cœur.

Mais la valeur ajoutée est toute autre. Tout l’intérêt vient des interactions précieuses avec sa grand-mère. Unique personne et unique courant de pensée qui lui a appris non seulement à vivre dans un milieu qui ne lui garantissait rien sur le long terme mais surtout à voir la vie d’un œil complètement neuf et inattendu. La recette, difficile à avaler au départ, va s’avérer pour le gamin bien plus savoureuse par la suite, en témoignent son sourire radieux et ses ratiches évidentes. Ses assiettes ne seront pas garnies d’un grain de riz de plus. Les quelques économies envoyées par la mère d’Akihiro, teneuse d’un établissement de liqueurs à Hiroshima, ne suffisent pas à enrayer l’éternel besoin de son estomac en sursis. Comment telle magie a pu s’opérer pour transformer ce qui semblait être pour Akihiro un séjour digne du chevalier Ikki sur l’île de la Reine Morte ? La faute à sa grand-mère, à une amitié dorée et à des nombreux personnages rayonnants.

L’école de la vie par Osano Tokunaga
Comme j’en ai parlé plus haut, les hommes cachés derrière les planches de ce manga ont su inverser le Yang d’un Ying incroyablement puissant. Celle qu’il va d’abord considérer comme un ogre, comme une créature maléfique, va peu à peu lui apporter un foyer des plus chaleureux. On ne va pas se mentir : avec la force de l’âge c’est l’estomac qui sera au centre des débats, bien avant la solitude et le confort. Qu’à cela ne tienne, la mamie aura toujours le dernier mot. Et elle le fait avec élégance. « Tu as faim ? Mais non tu te fais des idées », « Tes chaussures sont abîmées ? Tu n’as qu’à moins courir ! », « L’école c’est fait pour apprendre ? Surtout pour manger à ta faim ! », etc. Je ne suis pas loin des vrais dialogues. Osano a fort caractère. Ne jamais rencontrer de difficultés dans l’adversité et ne trouver que des solutions . « Tes pantalons sont troués ? Ça tombe bien j’ai un sac de riz inutilisé ! » ou « Tu n’as pas de gourde ? J’ai un vase qui fera l’affaire ! ». La liste est encore longue. La force de la pensée de ce bout de bonne femme réside dans cet optimisme débordant. Cette manière de détourner tous les problèmes mêmes les plus vitaux en les faisant passer pour du menu fretin, c’est son leitmotiv. Akihiro aura beaucoup de mal à se faire à ces manières. En pleine croissance, se contenter de riz blanc et imaginer les ingrédients les plus tentants n’est pas évident. Avec le temps il va non seulement s’en contenter mais aussi y faire adhérer nombre de ses collègues. Eux aussi dans leur Saga natal n’ont pas vraiment de quoi faire les difficiles.

Plus que sa vision unique et acérée des choses, Osano est aussi maîtresse de la récup’ et des bons plans sans coût. En témoigne son fameux filtre installé derrière leur maison en aval de la rivière qui voit (des fois) arriver de jolies trouvailles délestées par les légumiers en amont. Même un légume ou un fruit abîmé est consommable. Il n’est pas rare non plus de la voir trimballer derrière elle son aimant à ferrailles lorsqu’elle sort faire une course. Chaque minute écoulée est utile pour leur quotidien.

Problèmes matériels ou caloriques ? Rien n’échappe à son rayon d’action. Plus encore, elle fait face aussi aux troubles sentimentaux et sociaux que rencontrent habitants et visiteurs de ces vertes contrées. Représentants véreux, voleurs à la tire, troupe d’itinérants, problèmes discriminatoires notoires en milieux scolaires, événements sportifs en perdition, … rien ne la fait fléchir. Tous boivent ses paroles comme s’ils étaient face à un politicien inné, doté de toutes les qualités d’orateur. Revenons à notre mouton Akihiro. Séparé de sa mère et de son frère face à une économie qui l’écrase. Un système D Osano contraignant. Il a du mal à garder le cap. Un système digestif à l’agonie, le manque abyssal de sa mère, les fringues patchwork, tout cela ne s’est pas intégré du jour au lendemain. C’est là que l’autre pilier s’est mis en place pour pallier au manque emmagasiné. Le facteur humain. Sa grand-mère a le plus grand rôle mais les autres n’ont pas démérité.

Akihiro et les familiers de Saga
Nanri sera rapidement son meilleur ami, sa meilleure épaule, son meilleur bouclier, son meilleur fournisseur de gamelles. Toujours là pour lui en toutes circonstances et à toute heure du cadran. Il va partager les meilleurs fous rires comme les pires disputes et les pires fondues de larmes. Camarade de jeu et de mauvaises notes, il est aussi l’aîné des 400 coups. Le meilleur pote qu’on voudrait tous avoir. Il va aussi le défendre des railleries du gentil némésis Takuma, japonais d’en haut de l’époque et jeune fils des marchands de riz par excellence de Saga. Il vient souvent narguer les autres avec son vélo flambant neuf, son matos de base-ball inutilisé et sa télévision couleur. Il essaiera lui aussi de se rapprocher du duo de comiques attitrés de Saga. C’est bien le luxe mais en profiter seul ça ne vaut rien.

Rapidement le groupe d’amis d’Akihiro va s’élargir et il va aussi repousser tous les problèmes à des kilomètres, à l’image d’Osano. Sa grand-mère lui a apporté humilité, tolérance, persévérance et optimisme, mais a le seul défaut de ne pas être sa mère. Nombreux sont les épisodes et les situations où il identifiera des jeunes femmes à sa propre mère. Qu’il s’agisse de l’infirmière Mlle Tachibana ou d’autres badauds, le jeune garçon s’enflamme très rapidement et échafaude les plans les plus fous pour parvenir à ses fins. Il est prêt à tout laisser derrière lui pour vivre par procuration un laps de temps avec une chimère de mère. Le monde des nuages ne dure pas, ses amis et son entourage donnent leurs temps et leurs énergies pour faire venir sa mère et briser quelque peu son désespoir. Ses quelques parfums d’Hiroshima viennent panser les plaies béantes depuis son arrivée en terre de Saga.

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C’est avant tout l’agrégat impressionnant de personnages se baladant entre les chapitres qui ont construit le futur Akihiro. Celui qui a fait plus tard carrière dans le manzaï (comique en tandem) doit certainement beaucoup à ce beau monde. Et bien entendu à sa formidable grand-mère qui, je la cite, avait dit bien plus tard à son petit fils qu’il « vaut mieux te délasser, notamment à un moment pareil ».

Une Sacrée Mamie, ne suit pas une construction narrative Jump avec un début et une fin ponctués de twist et de moments WTF. Il suit un format répandu et reconnu, la tranche de vie. Chaque chapitre est une histoire, une situation. Certains débordent quelques fois sur deux ou trois, mais rien de plus. À chaque histoire ses nouveaux arrivants, ses nouvelles tragédies et ses conclusions plus souvent heureuses. Chaque épisode est une expérience de plus pour Akihiro. Certaines rencontres viennent gonfler les rangs des acteurs récurrents de l’histoire, même des acteurs canins. Une vraie spirale de l’amitié.

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« A trois j’enlève tout ! »

Une Sacrée Mamie est une lecture qui m’a donné le sourire pendant un mois de Mai fertile en fériés et en congés. Onze tomes digestes qui pourtant traitent d’un fond beaucoup moins évident sur le papier. Beaucoup se nourrissent de cette période sombre d’un Japon marqué et défiguré, avec brio même. Mais l’intérêt du titre d’Akata est ailleurs. Il ricoche sur ce marasme et s’en va chercher tous les sourires dont on a besoin. Tous les attraits d’un titre 7-77 ans sont là. Entre la relation fusionnelle du petit Akihiro et de sa Sacrée Mamie et les excursions quotidiennes avec Nanri et la bande, on y trouve son bonheur à chaque coin de page. Soyons honnête. J’ai eu la chance d’avoir à portée de main et sans frais cette intégrale, il est donc difficile de me prononcer en faveur d’un achat obligatoire. Mais j’ai eu beaucoup de mal à me détacher de cette pile qui squattait ma table de chevet. Pas avant de la voir fondre. Et ce n’est pas parce qu’elle gênait la vue de mon réveil.

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3 réflexions sur “Une Sacrée Mamie, Saga riche en émotions

  1. Un de mes mangas préférés, découvert à la médiathèque de la ville. Touchant voir bouleversant par moments, il n’en reste pas moins génial de justesse et d’équilibre entre jours et peines au quotidien ! Un must read absolu, pour comprendre ce qu’est le « vrai » bon manga !

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