Mercredi soir, dans le cadre du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, j’ai eu la chance de me rendre à une projection d’Asako I & II, un film de Ryûsuke Hamaguchi (qui présentait lui-même Senses plus tôt dans la même journée, toujours dans le cadre du FIFIB). Ryûsuke Hamaguchi, jeune réalisateur japonais peu connu en France malgré 11 long-métrages à son actif (et à peu près autant de court-métrages) était cette année en compétition à Cannes avec ce film, justement, et nous fût présenté par les responsables du festival comme l’élève prodige de Kurosawa, alors que la presse multipliait les comparaisons entre Asako I&II et Vertigo.
Mais moi je ne suis pas journaliste de cinéma, ni professionnelle, alors je vais juste vous parler d’un film qui m’a beaucoup marquée, d’une grosse surprise qui m’a émue. Une romance contemporaine qui me visse à mon siège pendant deux heures, c’est peu commun.
Asako I & II c’est l’histoire d’Asako, justement, une jeune femme qui tombe follement amoureuse de l’ingénu Baku. Celui-ci disparaît au bout de quelques mois, et deux ans plus tard Asako se laisse emporter dans une toute nouvelle histoire d’amour avec son double parfait, Ryôhei.

Affiche officielle du film
L’histoire d’Asako est simple : son cœur balance entre deux personnes physiquement identiques, spirituellement opposées, et nous ne faisons que suivre cette jeune femme réservée mais franche, pendant deux heures. Et pourtant, pendant deux heures on est absorbé-e-s par Asako et ses coups de foudre, ses doutes, ses sentiments : pas de rebondissements tragiques, pas de circonvolutions compliquées et une palette très restreinte de personnages, ce film est avant tout une « character study », une étude personnage. Et ce qui touche surtout dans ce film, c’est l’extrême sincérité. Sans grande explosion de sentiments, mais sans non plus de pudeur exagérée, chaque élément du film apparaît dans son imperfection : même un personnage réservé comme Asako voit ses failles révélées, indécise, trop sentimentale, presque immature… Les rues de Tokyo et d’Osaka sont grises, la rivière est sale, et le ciel est souvent couvert de nuages. Pourtant l’ambiance n’est pas à la mélancolie, moins encore à la tristesse.
Par une réalisation particulièrement attentive aux détails et aux arrière-plans, Ryûsuke Hamaguchi rend sa photographie élégante, et donne à l’ambiance générale une légèreté bienvenue. Le réalisateur n’utilise jamais de plan très « graphique », jamais très coloré ni parfaitement géométrique, mais sait utiliser les objets et décors pour transmettre beaucoup d’information : Jintan, le chat du ménage par exemple, nous en dit parfois plus que les personnages ; et une scène de tremblement de terre jouant sur la lumière fait basculer l’ambiance du film en quelques secondes.
Les jeux de lumière sont vraiment un des points forts du film, et se confondent avec l’idée de voyage, de mouvement : beaucoup de plans suivent des phares de voiture, de bus, … et dans une des scènes clefs du film, deux personnages se courent après alors que derrière eux un nuage laisse sa place au soleil, annonçant un changement de partie dans le film. La lumière dans ce film accompagne le voyage, et le voyage se confond avec le temps qui passe, et les changements qui en découlent. Et c’est ainsi que la fluidité du film ne souffre jamais de ses ellipses, et qu’on reste deux heures avec Asako sans ennui.
Car malgré l’aspect extrêmement réaliste du film, il n’y a pas de doute possible, Asako I&II est un conte, un récit qui tient du rêve, même. La bande-son assez audacieuse et étonnamment électronique (et vraiment excellente !) donne la puce à l’oreille en premier lieu. Ensuite, la réalisation, sans en abuser, n’as pas peur de l’emphase, et les scènes de coups de foudre vous laisseront peut-être un sourire aux lèvres, lorsque qu’Asako et Baku se tourne l’un vers l’autre au ralenti, chacun à un bout opposé du pont, le vent dans les cheveux. Mais ces scènes suspendues sont assez rares pour avoir une grande force, pour créer une ambiance qui rappelle le conte de fée sans ironie. Cette sensation de fantastique qui flotte durant le film est aussi beaucoup porté par la performance de Masahiro Higaside qui joue les deux personnages masculins principaux, et sait démêler les deux personnalités de manière parfaitement convaincante, au côté d’une Erika Karata qui brille dans son tout premier rôle au cinéma.
A la fin de la diffusion au FIFIB, une rencontre avec Ryûsuke Hamaguchi en personne fût organisée, et celui-ci a confirmé avoir conçu son film comme avant tout fantastique. Le nom « Baku » fait en réalité référence à une légende japonaise, une créature qui se nourrirait des rêves des gens. Cette précision donne une tout autre tournure à Asako I&II qui devient une réinterprétation fantastique, mais n’est absolument pas surprenante étant donnée l’atmosphère à la fois légère et étrange qui fait tout l’intérêt du film. Le titre japonais est d’ailleurs peut être plus clair sur ce point, 寝ても覚めても, « netemo sametemo », signifiant « quand je suis éveillé et quand je dors ».
Au final c’est un film simple mais magique, pudique mais sincère, qui m’a énormément émue. Un film qui sait être beau sans sophistication, et une véritable surprise. Le film sortira en salles en France le 2 janvier 2019 et il est évident que le détour non seulement vaut le coût, mais est nécessaire. J’espère en tout cas vous en avoir donné le goût, et je vous laisse sur la musique du générique de fin, « RIVER » par tofubeats.
PS : N’ayant malheureusement pas pu assister à la FAQ de Ryûsuke Hamaguchi moi-même, je remercie M. et C. qui m’ont rapporté ses propos. :)