Première fois depuis longtemps qu’un titre édité par Kurokawa m’intéresse. Ce n’était pas arrivé depuis l’arrivée surprise de Ryu Fujisaki dans le catalogue de l’éditeur, avec la saga de SF Les Héros de la Galaxie (dont faudra que je parle un jour, mais j’ai le temps parce que si le mangaka met vraiment 10 tomes pour un (1) roman on n’est pas prêt d’en voir la fin #HELP).
Shônen ou Shôjo ?
Le sujet du jour, ce n’est pas Ryu Fujisaki et comment son style graphique s’est adapté au récit militaire de Yoshiki Tanaka, mais Blue Flag, le shônen publié au Japon dans la magazine shônen numérique Shônen Jump +. En France, pas mal des titres issus de ce mag sont reclassifiés en seinen (c’est le cas de Fire Punch chez Kazé, Re/member chez Ki-oon, etc)(et vu ce qui s’y déroule, yep, c’est mieux pour un public plus vieux et tant pis pour l’image qu’on a du shônen en France)(ça pourrait faire l’objet d’un autre article, encore…). Blue Flag y échappe. En France, Blue Flag ne deviendra pas un seinen. Ouf. En effet, Kurokawa a préféré en faire… un… SHÔJO.
Pourquoi ? Parce que Blue Flag est un Slice of life, une romance lycéenne. Et a priori, en France, un shônen ne peut pas parler d’amour et d’amitié. C’est très révélateur du public ciblé par Kurokawa. Très révélateur, aussi, de ce qu’est un shôjo pour Kurokawa. Clairement, pour eux, un manga parlant de sentiments, c’est forcément pour les filles, et donc on lui appose un label shôjo.
J’ai lu des arguments comme quoi Kurokawa s’adapte au marché FR qui est différent du Japon (« sont pas comme nous ») mais non, ce n’est pas une adaptation, ils devancent le marché, et c’est le lectorat qui va s’adapter à l’étiquette. Kurokawa choisit son public. Mis au rayon shôjo, au milieu de plein de manga tout rose bonbon, forcément qu’il sera acheté et lu par plus de filles que de garçons.
C’est très frustrant. Parce que autant je veux voir une diversification du shôjo en France, autant ça ne devrait pas passer par des subterfuges de ce genre. Là, on va avoir des gens qui vont trouver original un shôjo avec un mec pour personnage principal. Comme Love Hina, vous savez. Tellement un shôjo qu’on a du fan-service toutes les 3 pages. De même, Blue Flag aurait pu servir pour montrer que le shônen, ce n’est pas que de la baston avec des power-up grâce au pouvoir de l’Amitié ou de la romance remplie de plan-culotte. Je regrette que ce titre ne soit pas tombé chez Akata, avec leurs labels thématiques style « vie quotidienne » « romance » ou autre, ça aurait été plus clair et on aurait pas eu cette polémique.
Cela dit, il semblerait que cette polémique a eu l’effet escompté : entre le moment où la rédaction de cet article a commencé et sa parution, Blue Flag apparaît maintenant dans la catégorie shônen sur le site de Kurokawa. Reste maintenant à passer le mémo aux gens qui ont reçu les SP…
Bref.
Deux garçons, une fille, quatre possibilités (?)…
Voici le résumé de l’éditeur, que vous pouvez également lire sur le screenshot ci-dessus : « Au printemps de leur année de Terminale, trois élèves se retrouvent à un carrefour de leur vie. Taichi [ndlr : pas celui de Digimon] est dans la même classe que Tôma, un ami d’enfance à qui tout réussi et que Futaba, une fille qu’il a du mal à supporter. Un jour, Futaba se confie à lui et lui avoue qu’elle est amoureuse de Tôma. Un instantané sensible et saisissant de la jeunesse d’aujourd’hui… L’auteur dynamise le motif classique du triangle amoureux avec des personnages réalistes et complexes. »
Ce premier tome du shônen dessiné et scénarisé par KAITO offre déjà beaucoup d’humour pour nouer les relations entre son trio principal. Et si le début semble classique, les situations proposées par l’artiste permettent de s’attacher rapidement. De même, au premier abord, les personnages peuvent apparaître comme de simple archétype : le héros un peu loser, la jeune fille naïve limite cruche, le rival beau gosse et super doué. Mais KAITO parvient à les nuancer rapidement, et en partant d’une recette connue, elle parvient à réaliser un plat original.
En effet, aucun des personnages n’est réellement ce qu’il laisse apparaître. Futaba n’est pas que la greluche trop mièvre, Taichi n’est pas que l’asocial désabusé et Tôma n’est pas que le beau gosse suprapopulaire du lycée. Pas que. En aidant Futaba a conquérir Tôma, Taichi va en même temps redécouvrir son ami d’enfance, perdu de vue avec les années. Il va également découvrir que la jeune fille qu’il trouve si agaçante ne l’est pas tant que ça. Au contraire, en voyant à quel point elle désire changer, il va peu à peu s’attacher à elle. Premier problème. Le second étant que Tôma n’est pas du tout intéressé par la jeune femme. Pour le moment, KAITO reste dans les non-dits et dévoile la vérité en fin de tome, mais les lectrices et lecteurs attentifs auront remarqué rapidement que Tôma n’est pas amoureux d’une « grande femme brune à grosse poitrine », mais de Taichi. On peut regretter que rien ne soit annoncé concrètement en cette fin de tome, mais le parti-pris de l’autrice (ou de l’auteur, je sais pas) fonctionne, et l’on a hâte d’en lire plus.
Ce triangle amoureux revisité chamboule les règles du jeu et apporte une touche d’originalité à ce manga. KAITO avance avec pudeur pour le moment, et l’on attend avec impatience que tous les personnages (pas que Tôma) révèlent leur vérité, même si je me doute qu’il faudra encore plusieurs tomes.
En attendant, ils vivent leur quotidien, entre lycée, les angoisses du futur incertain, et les sorties du week-end, plus fun. Ou pas si fun quand le plan si bien préparé tourne au fiasco ! Mais pour nous c’est plus rigolo, car Futaba et Taichi, sont trop mimis en SD, et la mangaka a un don certain pour affubler ses persos de tronches impayables.
Pour le moment, mon seul regret c’est la mise en retrait des amis de Taichi, le trio de geek-otaku-nerds, Monmon, Yôkii et Oméga, dont les designs « particuliers » m’ont rappelé ceux des persos secondaires de l’excellent Spiritual Princess (publié par Kazé Manga, déjà 8 tomes publiés sur les 12 prévus). La preview en fin de tome montre que d’autres figurants vont prendre un peu plus d’ampleur, que le cast va s’élargir, mais je crains que le trio reste dans l’ombre tant que Taichi passera son temps avec Tôma et Futaba. Dommage pour eux…
Côté édition, mis à part le cafouillage sur la collection shôjo ou shônen, c’est dans les standards de Kurokawa. Du travail de qualité et une bonne traduction, qui pour le moment ne cherche pas à se la jouer « jeune » comme le tristement célèbre « on s’nachav » de Mob Psycho 100. Le logo de la couv’ est super joli, ce qui n’est pas négligeable. Pour le moment, c’est un quasi-sans faute. A priori, le rythme de sortie sera trimestriel, avec un tome 2 prévu en juin.