Restant à l’écart lors d’une fête, Brian dessine une forme monstrueuse avant de se rendre compte qu’il s’agit de son autoportrait, vu à travers le miroir déformant d’un grille-pain. Bienvenue dans Dédales, le nouveau comics de Charles Burns où la création se mêle à la réalité et à l’imagination, et la bande dessinée croise le cinéma.
Mondialement connu pour Black Hole, l’auteur revient au neuvième art après sa cryptique mais néanmoins géniale trilogie Toxic. Exclusivité française des éditions Cornélius, Dédales est une série qui devrait compter 3 ou 4 volumes et sera publiée à sa fin seulement en Amérique, dans un format intégral. Le premier tome est donc disponible depuis le 10 octobre, au prix de 22,50 €.
Un nouveau bouquin de Charles Burns s’attend forcément, et entre sa couverture énigmatique présentant une femme rousse de dos et sa promesse de parler de création artistique, celui-ci ne faisait pas exception à la règle.
Dédales raconte la rencontre de Brian et Laurie lors de l’anniversaire de Jimmy, leur ami commun. Le jeune homme qui dessinait son autoportrait se fait surprendre par la jolie rousse, qui se présente comme l’actrice principale du prochain film amateur que Jimmy et lui réaliseront. Ils regagnent la fête où sont diffusés des courts-métrages horrifiques, avant que la vedette de la soirée présente un film que les deux compères avaient réalisé dans leur adolescence. Alors que Laurie est répugnée par les scènes sanglantes auxquelles elle assiste, le caractère de Brian change radicalement. Le dessinateur taciturne et égaré dans ses pensées qu’il était gagne en assurance et en charisme une fois qu’il se situe dans la salle obscure…
Le nouveau comics de Charles Burns est troublant tant il est rempli de bizarreries, accentuées par une narration interne qui passe d’un personnage à l’autre, nous livrant leurs moindres pensées. L’auteur nous fait naviguer entre les visions cauchemardesques mais étrangement agréables de Brian et le quotidien banal d’une jeunesse américaine qui fait la fête et va au cinéma, symbolisée par Laurie qui se demande dans quelle histoire elle s’est encore fourrée. Cette ambiguïté se retrouve dans l’imaginaire du dessinateur, à travers lequel l’esprit mêle son inquiétante imagination à son vécu. Il y croise notamment une Laurie fantasmée, prisonnière d’une chrysalide blanche. De là naît la création, puisqu’il couche sur papier des croquis représentant ses visions, qui lui serviront pour les scènes du film qu’il prépare avec Jimmy.
Dédales est intéressant dans le fait qu’on est plongé très naturellement au sein des chemins sinueux de l’esprit artistique. En se heurtant aux hallucinations de Brian, c’est à la vision créative géniale de Charles Burns que l’on fait face. L’auteur nous plonge littéralement au cœur de sa création, qui fascine autant par sa noirceur que par l’aisance avec laquelle ces hallucinations apparaissent. Brian ne dessine pas pour dessiner, il le fait sans même s’en rendre compte, comme s’il s’agissait d’un instinct naturel. Il prolonge sur papier des voyages qu’il subit, ces paysages étranges avec lesquels il fait corps.
Puisqu’il s’agit d’une œuvre sur la création, Dédales évoque forcément la question de l’influence, ce qui se ressent lors d’une scène magnifique où Brian invite Laurie au cinéma pour voir L’invasion des profanateurs de sépultures, le long-métrage de 1956 réalisé par Don Siegel. La narration interne passe alors du côté de Laurie, qui est venue au rendez-vous à contre-cœur et qui va raconter le film avec son œil désabusé, pendant que Charles Burns en dessine magistralement certains plans. Une description qui contraste fortement avec le regard de Brian, qui est absorbé par cette histoire qu’il connaît pourtant sur le bout des doigts, jusqu’à se mettre à verser quelques larmes devant la scène finale. Une dissonance qui met en évidence la différence de perception du film entre un cerveau qui s’en nourrit, jusqu’à en incorporer des éléments au propre imaginaire du personnage, et une spectatrice qui se contente de regarder.
Après la séance de cinéma, le couple de protagonistes fuit un SDF comme s’il s’agissait d’un homme-plante tout droit sorti de L’invasion des profanateurs de sépultures. Une scène d’amusement anodine mettant en scène des personnages dont l’esprit est encore focalisé sur le film, comme on pourrait en voir partout ailleurs. Mais ici, elle prend implicitement un sens plus déroutant, puisque Brian ne parvient pas à dissocier le réel du fictif. L’auteur nous conforte alors dans un enchevêtrement fantasmagorique qui dépasse la volonté de Brian.
Il est bien difficile de s’attarder sur Dédales, déjà parce que Charles Burns est un auteur atypique et jamais évident à déchiffrer, et ensuite car le récit n’en est qu’à son premier volume. Mais sans même en connaître la finalité, il est indéniable que l’on tient entre nos mains une bande dessinée géniale. Avec une ligne claire nourrie de sa propre obscurité, l’auteur nous amène aux frontières de la création, là où le réel et le fictif ne font qu’un, en nous confrontant à ses obsessions faites d’intérêt pour la jeunesse, de références aux années 50, de métamorphes sexuelles et autres joyeuses difformités. Entre performance graphique et réflexion sur son média, Dédales s’impose dès lors comme un incontournable de l’auteur, et donc du neuvième art.
Crédit pour les images : © Charles Burns / Cornélius 2019
Je ne lis plus trop de bandes dessinées… mais résister à un comics de Charles Burns risque d’être difficile 😉
Héhé, c’est forcément un événement !
Bof, j’ai trouvé ça assez flemmard.
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