Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de participer au Mondovision de la chonson, un événement de l’internet dont le but est de faire découvrir des tubes en provenance de n’importe où. Comme pour l’Eurovision, il s’agit de morceaux dont on se dit à la première écoute : c’est n’importe quoi, avant de se surprendre à les fredonner sous la douche.
Je voudrais raconter ici mon expérience de sélectionneur. Quand on regarde l’Eurovision, il est facile de se dire que le morceau ne va pas, que l’on aurait mieux choisi, voire dans les pires moments mieux chanté. Quand on doit soi-même choisir, même pour un enjeu aussi dérisoire qu’un live twitch pour 50 personnes dont une vingtaine de participants, on se met la pression, on essaie de trouver le meilleur morceau, celui qui va accrocher les gens. Se faisant j’ai exploré de manière brève mais intense la musique pop Argentine, qui m’était totalement inconnue. Du rock indé au reggaeton, j’avais envie de partager mes découvertes avec vous, et en particulier celle de Ms Nina.
Le Mondovision de la Chonson 3 : un univers bigarré
Il fallait bien deux mois et trois semaines de vacances pour se remettre de l’enchaînement Eurovision / Mondovision. Si tout le monde connaît l’Eurovision, dont j’ai déjà parlé ici par le passé, le mondovision est un événement tout à fait émergent et déviant. Il s’agit en effet d’une création de @parpaing, twitta connue pour ses gifs hilarants à base de groupes de K-Pop. Après deux éditions sur twitter, l’organisation est montée en prestige pour une soirée entière sur twitch en deux parties. Dans un premier temps, nous avons pu découvrir les 26 clips bigarrés en provenance de pays exotiques. Dans un deuxième temps, le jury a donné ses points, suivi par le public, pour un résultat au bout de la nuit, comme le vrai. Pour un événement diffusé devant 50 personnes en direct, on peut dire que les petits plats ont été mis dans les grands, avec notamment un habillage inspiré de MSN Messenger de la meilleure qualité pour le comptage des points.
Tout comme l’Eurovision, le Mondovision est l’occasion de découvrir des tubes tout à fait exotiques et rafraichissants. Histoire d’aller au plus vite voici la playlist officielle, classée du premier au dernier.
Si vous trouviez la performance de l’Ukraine à l’Eurovision exotique (oui, elle l’était, et magnifique aussi), attendez de découvrir le hip hop de Singapour, l’Europop Libanaise, la choré surprenante de la costaricienne Pavo, ou l’influence du Joker sur la Tanzanie.
Du clip le mieux au moins bien noté, il y a toujours quelque chose de spectaculaire et tous les morceaux sont accrocheurs à leur manière.
Pour ma part, j’ai eu la chance de représenter l’Argentine. Pourquoi ce pays ? Pur tirage au sort. Lors des 2 premières éditions, j’avais été épaté par la diversité des chansons proposées, imaginant que les candidats avaient été sélectionnés en fonction de leurs domaines de prédilections. D’où un léger sentiment de panique quand j’ai reçu mon pays : je ne connais rien à la chanson argentine.
La consigne est pourtant claire : un pays, un morceau de moins de 3 minutes et de moins de 5 ans.
A la découverte du rock indépendant Argentin
La seule artiste venant d’Argentine que j’écoute est Juana Molina, qui avait 3 inconvénients : albums pas assez récents, morceaux trop longs. Surtout sa musique est de celles qui doivent infuser dans le cerveau alors que je cherchais un bop à l’adhésion immédiate.
Il fallait donc mettre en œuvre mes compétences de bibliothécaire pour trouver de quoi concourir.
Deux options : soit aller dans du très indépendant, soit aller dans du très commercial. Mon premier réflexe a été d’aller vers le plus proche de mes goûts municipaux. Direction google à taper independent rock Argentina, ou dreampop Argentina, et voir où ça nous mène.
Dans le très indépendant, j’ai découvert le groupe Las Ligas Menores via les pages musicales du site Remezcla. Leur titre Renault Fuego n’est pas incroyable, mais j’ai gardé ce morceau dans un coin de la tête pour chercher le vote des fans de Kad & Olivier.
A noter que le site Remezcla propose une playlist d’excellente qualité sur Spotify, remise à jour toutes les semaines. J’y ai notamment découvert que l’argentine continuait à héberger des chanteurs de Rap / Metal, ce qui aurait pu m’intéresser très vivement si le titre était sorti à temps pour le mondovision.
Dans le même ordre d’idée, je suis tombé sur ce clip de la Lou en cherchant dreampop Argentina, ce qui m’a amené sur cet article de Noisey Argentina.
Dans les découvertes qui ne correspondaient pas aux critères de sélection, je retiens El mato a un policia motorizado, un groupe au nom et à l’esthétique de qualité.
Mau y Ricky : un duo aussi fascinant que pas argentin
Je suis ensuite parti chercher des morceaux plus évidents et commerciaux. En regardant des clips de Lali, j’ai découvert Mau & Ricky, duo de chanteurs vénézueliens au style fascinant, tout en jean et capillarité osée, que n’auraient pas renié Andy Samberg et Justin Timberlake période Dick in a box.
Leurs clips sont plein d’humour, et leur musique suffisamment pop pour que l’on puisse l’écouter sans être un pur fan de reggeton.
Malheureusement, Mau y Ricky ne sont pas argentins et les autres morceaux de Lali ne sont pas incroyables. J’ai néanmoins longtemps pensé à ce clip plein de patins à roulettes artistiques, qui aurait pu séduire.
La tentation du hit parade
De manière générale, j’ai essayé d’écouter un peu ce qui était en top tendances Argentine sur Youtube, mais je trouvais tout un peu mou, y compris des morceaux sensés être un peu gangsta comme ceux de L-Gante (qui de toute façon sont trop longs ou au clip peu spectaculaire)
Au passage, j’ai découvert que l’actrice de Violetta était devenue une star de la cumbia sous le nom de Tini.
Si je n’étais pas bredouille, j’étais néanmoins dans une impasse qui renvoie au douloureux dilemme du sélectionneur. Il me semble que pour réussir, il faut deux qualités : comprendre le goût du public, et être sincère dans ses choix. Par exemple, choisir Barbara Pravi pour l’eurovision aurait pu être un geste cynique, celui d’envoyer un morceau à la Piaf et de favoriser le versant touristique de la chanson française. Mais on a pu ressentir l’amour sincère de la chanteuse pour ce type de musique.
De même, on peut penser que les jurys de The voice sont des gros has-been (ils le sont), mais quand Florent Pagny choisit un candidat, il le fait en pensant qu’il s’agit de la meilleure chanson possible.
A titre personnel, j’écoute énormément de musique mais je connais très mal les titres qui sont au sommet des charts français, et encore moins argentins. Sélectionner un morceau qui serait un gros succès, mais que je n’aimerais pas, était une solution, mais aurais-je pu le défendre ? Il me fallait un morceau qui pourrait plaire et qui devait aussi me plaire.
Ms Nina, et le rico, rico, rico bom bom
Au final, un peu pris de court par le temps, j’ai suivi le conseil donné par le spécialiste de la politique documentaire Jérôme Pouchol : il faut toujours avoir un expert à portée de main pour aller au bout des choses.
Ici, l’experte s’est révélée être une collègue fan de reggaeton qui m’a invité à aller voir du côté de Ms Nina.
Là, coup de foudre immédiat : une musique immédiatement compréhensible, mais avec juste ce qu’il faut de vulgarité pour être un peu dangereuse.
J’ai compris plus tard, que cet aspect rugueux tenait certainement à son côté outsider. Si Ms. Nina est argentine, elle vit depuis ses 14 ans en Espagne, où les rythmes latino-américains ne sont pas aussi populaires. Avec l’éloignement géographique, il est possible qu’elle ait développé un autre regard sur le reggaeton, que le journal El Pais définit comme étant muy barroca. Dans un genre très hétéro-macho, elle apporte un regard féminin, pas forcément moins porté cul que celui des mecs. Ses clips sont aussi très queer-friendly. Dernier élément important dans l’univers visuel et musical de Ms Nina, la nourriture, constamment présente.
Je suis aussi fan de sa voix, posée un peu mollement sur des beats agressifs, comme pour nous dire qu’elle n’a pas à être la plus sexy, la plus virtuose, qu’elle est juste cool, et que tout va bien se passer ce soir. Une attitude que l’on retrouve dans ses oeuvres artistiques, des collages à la limite du shit-post qu’elle publie sur tumblr ou expose dans des galeries.
Malgré une certaine notoriété en Espagne, gagnée grâce à une pub pour Chicfy, le concurrent espagnol de Vinted, on peut dire qu’elle est juste suffisamment décalée pour se démarquer de la masse.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai choisi Rico, rico, rico (ce qui semble-t-il veut dire miam miam, dans le sens aussi de je vais te bouffer tout cru) un morceau où Ms Nina explique à son mec qu’elle sait bien qu’elle n’est pas la seule dans sa vie mais que tant qu’il fait bien ce qu’il a à faire, tout va bien se passer. Et vu qu’elle répète à la fin : Pa’ tras pa’ tras pa’ tras pa’alante Y pa atrás (qui si j’ai bien compris, veut dire par derrière, par derrière, par devant et par derrière), j’imagine que tout finit bien.
Dans tous les cas, le morceau est mortel, le refrain va vous squatter le cerveau, et même si Ms Nina est tout aussi argentine que Lucas Hernandez est français, elle méritait d’autant plus sa sélection que la seule victoire qui compte est celle de la musique.
Un mot sur le duo de producteurs Beauty Brain, ici à la production comme sur de nombreux titres de la plus espagnole des argentines. Ils n’ont bizarrement jamais fait d’album en entier, et leur style musical semble être très malléable en fonction des artistes avec qui ils travaillent. Si vous aimez ce morceau, il faut absolument écouter le morceau Danger avec Space Surimi, qui est incroyable, avec son beat vibrant tel un morceau de la musique de Hotline Miami.
J’ai beau passer mon temps à écouter de la musique, je ne connaissais rien de la pop argentine. Nos goûts sont clairement compartimentés en fonction de nos origines géographiques, ce qui est d’autant plus logique que même ainsi, l’étendue des univers musicaux semble infinie. Pratiquement chaque morceau présenté ici a dépassé le million de vue sur youtube ou d’écoute sur spotify : ce sont des tubes … qui m’étaient totalement inconnus. Aujourd’hui, si je croise un argentin, je pourrais lui dire : L-Gante ? oui pas mal, mais un peu commercial quand même.
Pour cette raison, j’adore vraiment le concept du mondovision : quelle autre occasion a-t-on de découvrir le meilleur du rap vietnamien ou des girls band du Kazakhstan ?
Je vous laisse donc penser à tout cela en écoutant le nouveau single de Ms Nina, encore un morceau qui reste bien en tête et dans les hanches.
Pour aller plus loin : j’ai créé une playlist avec les morceaux intégrés à cet article. J’ai aussi mis les liens vers les chaînes youtube des artistes cités lors de leur première apparition dans l’article.
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