Norco : on dirait le sud.

Le générique de Norco défile, je repense aux dernières images avec lesquelles j’ai interagi et à ce trophée débloqué dont l’intitulé se termine par un smiley triste. La descente est rude après ces 6/7 heures passées à errer dans la Louisiane poisseuse de Norco. J’ai besoin d’en parler.

Après cette fin âpre, qui laisse un goût d’inachevé, j’ai appris qu’il en existait une autre. J’ai donc relancé une nouvelle run et j’ai eu cette alternative, plus apaisante, révélant d’autres éléments d’une histoire brillante. Le cœur, lui, reste toujours aussi serré.

NOTE : un pan entier du scénario du jeu ne sera pas abordé afin de conserver un peu de mystère.

Développé par Geography Of Robots et édité par Raw Fury (NightCall, DomeKeeper, Flateye…), Norco est sortie au printemps 2022 d’abord sur PC puis à l’hiver suivant sur les consoles Xbox et PlayStation dont la PS4 support sur lequel je joue.

Le joueur incarne Kay, une jeune femme qui vagabonde au coeur des États Unis et qui semble avoir pris ses distances avec sa famille. Originaire de la ville de Norco, Kay rentre au bercail lorsqu’elle apprend le décès de sa mère souffrante et dans la foulée, la disparition de son frère Blake. En retrouvant sa ville d’enfance qui vit au dépend de la raffinerie Shield, elle va tenter de retrouver son frère et reconstruire le passé de sa mère qui semble avoir marqué la ville de son empreinte.

Située en Louisiane, en périphérie de La Nouvelle Orléans et non loin de Baton Rouge, Norco est une ville réelle qui voit le Mississippi la longer. Autre particularité, l’économie de la ville repose sur l’existence en son centre de la raffinerie Shell. La multinationale anglo-néérlandaise est la 5ème entreprise mondiale (2019) et est très active sur le lobbying pour bloquer les solutions de lutte contre le réchauffement climatique. Si j’insiste sur ce petit point après une visite sur wikipedia, c’est parce que l’un des développeurs de Geography Of Robots a vécu à Norco, et la raffinerie a une place importante dans le jeu. Pour éviter toutes polémiques dont un potentiel procès, le studio a sans doute volontairement rebaptisé l’entreprise en SHIELD.

Norco est un point’n click tendant vers le fantastique, et n’oublie pas de faire un peu de politique avec en sous texte un paradoxe. La Shield (dans le jeu donc), use de sa position pour faire du profit et en parallèle, crée des emplois à l’échelle locale. Le jour où la Shield s’en va, que devient Norco ? Ce n’est en aucun cas le propos principal mais il y a un contexte très intéressant qui est abordé par Lucky, un des nombreux personnages très singulier que Kay va croiser. On plonge assez rapidement au sein du désespoir de la classe ouvrière et des rues poisseuses de Norco.

Décor parfait pour développer une histoire, la Louisiane sert souvent d’environnement pour le genre littéraire voire même cinématographique, le Southern Goth. Ce courant de narration situe ses histoires dans le sud des États Unis, toujours. Le lecteur est amené à découvrir des lieux reculés, souvent pauvres, avec une atmosphère poisseuse, du bayou et son lot de personnages excentriques ou perturbés. Visuellement, on peut penser à la série True Détective (surtout la première saison) ou au film Tideland (attention c’est assez dérangeant). Norco est donc située pile au bon endroit pour raconter l’histoire de Kay et les développeurs ne vont pas hésiter à nous faire voir du pays.

Avec son look rétro et ses pixels ultra colorés, le jeu possède une direction artistique fascinante qui fait presque regretté de ne pas avoir une option appareil photo. Chaque tableau proposé est une ode au screenshot. En parcourant la ville, les différents décors vont se faire de plus en plus intrigants tout en conservant un caractère industriel et l’odeur du bayou. L’apparition soudaine du fantastique dans la vie de Kay va transformer chaque tableau exploré en quelque chose de quasi mystique et c’est la narration qui va pendant 5-6 heures permettre de croire à ce que l’on voit et de se sentir absorbé par la proposition.

Norco a en lui quelque chose qui ressemble à du Disco Elysium par son histoire, son esthétique, son rythme et son écriture. Chaque bulle de dialogue, chaque description de lieu ou d’objets délivre une sorte de poésie tantôt douce, parfois cauchemardesque mais toujours élégante. Bien que le jeu puisse paraître relativement court, il possède en son sein un renouvellement de gameplay.

On aborde chaque tableau toujours de la même manière en cliquant sur des éléments précis (qu’il est possible de mettre en surbrillance via la touche dédiée) afin de débloquer une situation, un dialogue, un objectif ou de rencontrer un personnage. Certains d’entre eux vont rejoindre Kay et l’aider dans sa quête. C’est ainsi que la jeune femme va se retrouver accompagné d’un androïde, d’un vagabond révolutionnaire, d’un détective privé loufoque et… d’une peluche. A certains moments, Kay sera confronté à des ennemis qu’il faudra vaincre en équipe. Chaque coéquipier à son gameplay, par exemple notre héroïne doit cliquer sur des glyphes dans un ordre précis alors que d’autres devront cliquer au bon moment sur des cibles. Norco ne dispose d’aucun système de levelling et sa dimension RPG se limite à un inventaire succinct. On reste sur une aventure textuelle et l’affubler d’un gameplay trop lourd, lui retirait toute sa philosophie.

Norco possède un autre système de narration accessible à tout moment en haut et à gauche de l’écran. En cliquant sur le visage de Kay, on accède à sa carte mentale. Ce tableau vide au départ, s’étoffe au fil des rencontres et des discussions et permet de faire des liens et la lumière sur les événements qui ont amené Kay a revenir dans sa ville natale. Visiter cet espace est important pour bien comprendre le lore du jeu.

A de rares moments, placés bien trop précisément pour que cela soit anodin, le jeu va se transformer et délaisser sa dimension point n click. Par exemple, on sera amené à explorer le Bayou en bateau avec une vue du dessus afin de pouvoir révéler un chemin auparavant inexistant. Ailleurs, on explorera un bâtiment dans le noir et il faudra cliquer à certains endroit pour obtenir l’accès à un étage et déverrouiller une porte. En se trompant, l’héroïne se verra happer par un bras invisible très inquiétant.

Le final de Norco est une expérience incroyable, quelque chose d’épique qui exacerbe aussi bien une souffrance, que le plaisir d’assister à un dénouement inattendu. Mais pour cela il faudra se montrer rigoureux et curieux. Il résume à lui seul toute l’aventure parcourue par Kay et ses rencontres. On assiste au générique de fin le cœur serré et on écoute l’OST signée Gewgawly et Thou en guise de doudou.

Vous l’aurez donc compris, Norco aura été riche en émotion, captivant grâce à des personnages très colorés, une écriture brillante qui se sert de la réalité pour développer une histoire politique, familiale voir même religieuse. Bien conscient de n’avoir aucun pouvoir pour imposer ce jeu à la majorité des joueurs, je suis à la fois frustré de savoir qu’il va passer à côté de beaucoup de ludothèques mais heureux qu’il ait intégré la mienne.

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