Xavier Dolan, passage à la série réussi

5 épisodes auront suffit à Xavier Dolan pour imposer son cinéma au format sériel et en faire ressortir quelque chose de bouleversant. A bientôt 33 ans, le natif de Montréal a commencé 2023 par une démonstration de son talent.

Après 8 films en 10 ans (2009-2019), Xavier Dolan a donc décidé de s’attaquer à un autre format en adaptant « La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé », une pièce de théâtre de 2019 écrite par Michel Marc Bouchard. Le dramaturge a également écrit Tom à la ferme que Dolan avait brillamment mis en image. Diffusée entre le 23 janvier et le 6 février 2023 à raison de 2 épisodes d’1h chacun, un soir par semaine sur Canal+,  la série est selon moi une excellente porte d’entrée à l’univers de Dolan.

Une nuit d’octobre 1991 dans la ville fictive de Val-des-Chutes au Quebec, un événement survient dans la chambre de Laurier Gaudreault, ami proche des frères et sœurs Julien et Mireille Larouche. En 2019, la famille Larouche, brisée par cette nuit de 91 voit la mère Madeleine mourir. Mireille devenue thanatologue, exilée à Montréal, revient dans sa ville natale pour embaumer sa mère, ultime souhait de cette dernière. Ses retrouvailles avec son frère Eliott qui sort de désintox, Denis qui semble un peu largué par toutes les tensions familiales et surtout Julien avec qui les ponts sont coupés depuis cette tragique nuit vont réveiller les plaies du passé. 

Xavier Dolan a mis presque tout son cinéma dans cette série. On y retrouve ses marottes les plus viscérales tels les conflits familiaux, les rapports humains et n’oublie pas la présence de Anne Dorval qui joue une Madeleine solaire. On retrouve aussi son amour des 1990’ et la musique qui va avec, tant pis si c’est kitsch à souhait. Et puis il y a la puissance des personnages féminins, entiers, perturbés mais solides comme des rocs. Si cette création vous parle, rapprochez vous de Tom à la ferme ou de Matthias et Maxime. Les thématiques et/ou ambiances ne vous perturberont pas trop.

Fidèle à lui-même, Dolan pose sa caméra proche de ses comédiens, sans rater une émotion et prend le temps de raconter une histoire. La lenteur du rythme permet de s’intégrer à la famille Larouche, comme si nous étions la dernière pièce rapportée et qu’en toute indiscrétion nous plongions dans leurs travers. On est à table avec Denis dans sa cuisine qui ressemble à celle d’un syllogomane, on chante avec Chantal, la femme de Julien dans un karaoké endiablé sur Celine Dion ou encore, on est abattu par les rencontres d’un soir de Mireille, sans oublier Eliott campé par Xavier Dolan himself qui s’inflige pendant 5 épisodes une belle cicatrice au front après avoir simulé une agression. On oscille entre empathie et détestation de ces gens et on comprend qu’on est là plus pour savoir ce qu’il s’est passé que pour aimer les personnages. Si on est sur une narration qui ne se presse pas, on ne s’ennuie à aucun moment, grâce au montage d’orfèvre signé Dolan lui-même, là aussi comme d’habitude. 

Les dialogues lient les personnages entre eux, bien plus que le simple fait de savoir qu’ils sont de la même famille. Régulièrement la sensation de malaise fait son apparition et là aussi on hésite entre impatience et appréhension quand l’heure des confrontations arrive comme celle qui survient à la fin de l’épisode 4. Tout en maîtrise et plein de puissance, Dolan oppose deux personnages qu’il met sur un pied d’égalité visuellement et il les laisse exprimer leurs émotions. Le québécois se permet quelques séquences horrifiques sorties de nul part, sans doute dans le but de vouloir appuyer un peu plus sur le côté perturbé des personnages tel un coup de coude un poil grossier. Il en est de même pour la scène d’ouverture de la série qui met en lumière un crime homophobe et qui ne sera réabordé que pendant quelques secondes un peu plus tard. Mais comme souvent chez Dolan, rien n’est là par hasard et une fois le dernier épisode conclu, on comprend mieux certaines choses, tout était sous nos yeux. Dolan contextualise sa ville fictive et les événements qui s’y sont passés et qui s’y passent encore. Dolan, ne fait pas de l’homosexualité le sujet de sa série, il en fait un point de narration, presque une préparation paiement. Outre le drame familial qui se joue sous nos yeux, Dolan évoque sans aucun détour l’alcoolisme, le tabagisme, la toxicomanie et la sexualité malsaine (sans association à un genre précis). Bien que rien ne soit vraiment graphique, il faut tout de même conseiller cette série à un public averti.

Comme dit précédemment, Dolan injecte dans sa série, toutes les thématiques qu’il aime et ici, il met de l’énergie à développer des sentiments masculins, sincères sans que ceux-ci soient influencés par une quelconque orientation sexuelle. Sans doute que l’avènement de Me Too accentue le ressenti mais dans sa série, Dolan n’omet pas de replacer la femme là où elle était dans les années 90’ à savoir à la maison, sage, obéissante. Le personnage de Mireille complexe et torturé en est un parfait exemple. Lorsqu’elle est adolescente, celle-ci subit la toxicité de son frère et la suspicion de sa mère suite à ce qu’il s’est passé. Lorsqu’elle revient au sein de sa famille, adulte et accomplie, on la sent perturbée, revancharde et prête à tout faire exploser. 

En 5 épisodes, Xavier Dolan a donc fait de sa série, une œuvre touchante, belle, soignée par la photographie de l’excellent André Turpin avec qui il travaille depuis Tom à la ferme. Il faut privilégier la version originale sous-titrée afin de prendre plaisir à écouter ces québécois et leur accent qui donne à sourire même dans des moments de gravité mais qui sont profondément sincères et transpirent l’émotion. Le casting impeccable permet de découvrir ou redécouvrir Anne Dorval si poignante en mère carriériste puis désireuse de tenir une famille sans fissure. Les autres femmes, comme Julie Le Breton ou Magalie Lepine Blondeau ou la discrète Julianne Coté marquent les esprits. En ce qui concerne Patrick Hivon, sa manière d’incarner un Julien colérique, violent et détestable le rend indissociable, c’est à ça qu’on reconnait les grands non ?

La Nuit Où Laurier Gaudreault s’est réveillé est une série disponible sur Canal+ et il est recommandé de la voir si on veut sortir un peu des sentiers battus et rebattus et s’aventurer sur quelque chose de plus humain.

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