Envouté par sa beauté et sa poésie dès les premières images, Season: A Letter To The Future a été la première claque ludonarrative et visuelle de début 2023. Il faut dire que tout a été réuni pour en faire un objet fascinant avant même de pouvoir y poser les mains dessus. Son trailer apparu au State Of Play de juin 2022 donnait l’impression d’un jeu, intriguant, arty, voire peut-être un peu prétentieux. Après avoir bouclé l’aventure, il faut reconnaître que les québécois de Scavengers Studio ont su faire une promesse et la tenir en réalisant une œuvre qui parle d’héritage et de patrimoine matériel et émotionnel.
Season: A Letter To The Future (ici Season) est le second projet développé par Scavengers Studio fondé en 2015 à Montréal (Canada). Après avoir lancé Darwin Project en 2018, un battle royal multijoueur, le studio a décidé d’effectuer un virage qu’on peut qualifier de radical, tant il s’éloigne en tout point de ce sur quoi ils ont travaillé.
Alors qu’il planche sur le développement de Season et sa promotion, le studio vit des moments difficiles en interne. En 2021, Simon Darveau, directeur créatif et co-fondateur de Scavengers est accusé d’entretenir une ambiance toxique au sein du studio visant essentiellement les femmes. On parle de harcèlement, d’agressions, de culture boys club. Darveau a alors été suspendu puis réintégré à un poste non managérial et sous condition tandis que la PDG Amélie Lamarche a d’abord quitté le studio puis repris ses fonctions. Aujourd’hui, sur le site web de Scavengers, on trouve une page dédiée à la prévention du harcèlement et tout comportement toxique au travail et à l’extérieur. Après un parcours compliqué pour les employés de Scavengers Studio, Season est enfin sorti fin janvier sur PC, PS5 et PS4.

Dans le monde de Season, bien différent du nôtre, chaque ère s’achève par un cataclysme, une fin de monde. La majorité de la population est protégée et une nouvelle saison débute. Estelle, est une jeune femme qui va vivre la fin d’une saison en quittant son village isolé en haut d’une montagne. Elle qui ne connait rien du monde dans lequel elle vit, va découvrir des lieux, des gens, des histoires et déposer le témoignage de son exploration dans un cahier qui servira aux générations futures.
Partie seule après avoir fait ses adieux à sa mère au cours d’un rituel, Estelle va enfourcher son vélo et ne plus jamais le quitter. Dans son sac, elle possède un cahier dans lequel elle va pouvoir raconter son aventure ainsi qu’un appareil photo et un magnétophone. L’essentiel du gameplay est ici, on se déplace à pied (lentement) ou à vélo et la collecte de données repose sur le concept de scrapbooking. Lorsque l’on aborde une nouvelle zone, celle-ci vient s’inscrire dans notre journal et Estelle va devoir déposer au minimum 5 éléments sur une double-page afin de pouvoir débloquer un script qui fera avancer l’histoire. Ces éléments peuvent être des photos que l’on prend, des sons (le bruit d’une fontaine, une alarme etc.), des pensées personnelles, des retranscriptions de discussions etc.


En plus de faire avancer le scénario, la complétion d’une zone nous offre des petites features esthétiques pour égayer nos pages et y apporter de la couleur, du relief. Ce qui fait que chaque joueur va avoir un recueil unique et les développeurs ont pris soin de ne rien imposer en terme de disposition, structure de nos pages. Toutefois, on sera limité à deux pages par lieu et il faudra faire des choix qui parfois vont nous serrer le cœur tant on aimerait apporter de la valeur à certains endroits visités. Il aurait été intéressant de proposer un téléchargement de notre journal afin de pousser le concept d’archivage et de souvenirs au maximum. L’idée d’être une passeuse de savoir qui note tout dans un livre était très intéressante sur le papier et manette en main, c’est non seulement très intuitif mais cela investit le joueur émotionnellement.

Après avoir avalé quelques kilomètres en ligne droite où il est difficile de s’éloigner du chemin principal, Estelle atteint une immense vallée, qu’elle va devoir explorer avec une curiosité propre à chaque joueur puisqu’il est possible d’aborder les lieux dans l’ordre que l’on veut à la manière d’un open world. Très rapidement et simplement, le jeu nous explique qu’il faut attendre la nuit pour accéder à une certaine zone. Pour déclencher ce moment-là de la journée, il va falloir faire des rencontres, trouver des éléments, nourrir notre journal de bord. À chaque nouveau lieu exploré, la carte d’exploration grisée d’Estelle va se colorer et ainsi faire apparaître ce qu’il reste à voir.

On sent qu’on est dans un jeu avec un message humaniste, qu’il cherche à placer la Femme et l’Homme dans un grand tout et à lui redonner une place importante. La narration environnementale qui a une place quasi principale dans notre exploration va nous présenter des lieux exploités par l’homme (agriculture, exploitation de mines) dans un but de pouvoir vivre mais nous allons aussi avoir un contexte politique et religieux. Nous allons croiser des hommes et des femmes, des soldats, des familles qui doivent faire des choix pour conserver tel ou tel souvenir avant de fuir. La nature a également une place importante dans la vallée.
Une fois que nous découvrons cette vallée et que nous la traversons dans touts les sens, on en vient à se demander si le lore du jeu n’est pas un peu trop fourni pour son propre bien. La vallée est menacée par la rupture d’un barrage et cela semble déjà être un contexte important pour installer une histoire et une exploration dans notre quête de savoir. Si c’est la fin du monde qui motive le départ d’Estelle de son village, cela s’estompe une fois qu’on arrive dans ce monde ouvert et même si on est dans un jeu qui mise sur l’émotion et le relationnel, le caractère urgent présenté en début du jeu, ne se fait jamais sentir. L’ambiance générale, sonore est plutôt calme, on a envie de prendre notre temps et on aime cela pour le bien que ça procure. Season est une véritable bouffée d’oxygène dans cet océan de jeux où dominent la vitesse et la violence.

Season: A Lette To The Future est une ode à la vie, à l’humanité, une motivation à transmettre le savoir peu importe son contenu. Sa direction artistique qui pourrait faire penser à un Breath Of The Wild avec moins de moyen mais tout autant de créativité esthétique est absolument bluffante, il faut saluer les équipes de Scavengers Studio qui ont réussi à maintenir le cap de leurs ambitions malgré une pression toxique en interne. Leur second jeu, le premier qui propose une aventure solitaire complète est une franche réussite visuelle, offre un gameplay intéressant qui s’intègre à une narration très bien rythmée.
Si j’évoquais le petit paradoxe de pouvoir prendre notre temps dans un contexte d’urgence, on aime énormément se promener dans cette vallée qui menace de céder. Les personnages rencontrés suscitent un objectif commun : les aider à quitter leur vie d’avant avec en point d’orgue cette dame que l’on découvre à l’ouest de la vallée, un véritable moment suspendu. Estelle tombera par hasard sur des monuments religieux qui intriguent, effraient mais renseignent de manière simple et efficace sur ce monde qui sombre et que l’on découvre pour la première fois. Le personnage d’Estelle qui ignore tout est un parfait avatar pour le joueur, ensemble ils apprennent à chaque seconde. Une élégante pirouette d’écriture qui évite la fameuse perte de mémoire, ici, notre héroïne ignore tout car elle vient d’un village reculé.

Le jeu se parcourt en 5-6 heures selon notre curiosité et il est recommandé d’éviter la version PS4 tant il y a de bugs et ralentissements mais cela n’entache pas l’expérience vécue car celle-ci est très forte. Au fil de nos rencontres nous allons comprendre le monde d’Estelle et l’aider à façonner un futur plein de savoir et de souvenirs. Il faut également souligner qu’il peut amener à réfléchir sur la douleur ou le bonheur provoqué par un souvenir, un événement et le fait de le transmettre. L’aventure d’Estelle est pleine de contrastes entre la beauté des rencontres et celle d’un monde qui va disparaître.