Kamakura Diary : La condition féminine selon Akimi Yoshida

De Moto Hagio à Aya Kanno, en passant CLAMP, Naoko Takeuchi, Moyoco Anno ou encore Chica Umino, de nombreuses autrices ont réussi à ouvrir le shôjo et le josei manga à un public masculin. Malgré tout, ces catégories éditoriales restent profondément féminines. Elles permettent d’accompagner les filles de leur enfance à l’âge adulte à travers de la lecture. Bien sûr, les femmes ne lisent pas que du manga shôjo et josei et ne sont pas non plus obligées d’aimer, et les hommes peuvent en lire aussi. Ce sont des évidences mais il est nécessaire de les rappeler de temps en temps. Seulement voilà, ce sont des œuvres pensées et conçues pour répondre aux attentes d’un public ciblé et pour lui parler. Ainsi, les mangas publiés dans des magazines destinés à des femmes constituent le repaire idéal pour aborder correctement la thématique de la condition féminine. Et ça tombe bien, c’est justement le sujet de la semaine du shôjo, l’événement annuel lancé par Club Shôjo

Personnellement, j’ai du mal avec les mangas moralisateurs. Pas qu’ils ne soient pas bien ou pas intéressants, mais je n’ai pas besoin que l’on me dise que le racisme c’est mal, le sexisme c’est mal, l’homophobie c’est mal et cetera. Je le sais déjà. Et quand bien même le manga en question donnerait des exemples et exprimerait des ressentis, j’ai du mal à être transporté par des faits. Après, il suffit de se connecter rapidement à la société actuelle se rendre compte que les rappels basiques sont nécessaires. Cependant, il n’est pas certain que les personnes qui en ont le plus besoin s’intéressent à des mangas ouvertement militants. Pour en revenir à mes goûts, je préfère quand une autrice s’approprie une thématique sociétale pour créer quelque chose autour, comme Setona Mizushiro qui raconte l’histoire d’un personnage à la fois homme et femme à travers l’onirisme dans L’infirmerie après les cours ou Moto Hagio qui dessine des amours homosexuelles notamment dans Le Cœur de Thomas

Pour la semaine du shôjo, un nom m’est immédiatement venu en tête. Une autrice qui dessine des mangas assurément militants sans jamais le revendiquer frontalement : Akimi Yoshida. Connue pour Banana Fish, elle est aussi l’écrivaine de Kamakura Diary. Une œuvre également nommée en France sous le titre de Notre petite sœur, puisqu’elle a été adaptée au cinéma par Hirokazu Kore-eda. Si l’on s’éloigne de la guerre de gangs de New York avec les thèmes extrêmement difficiles qui vont avec (drogue, meurtre, détournement de mineurs…) pour se rapprocher de tranches de vie plus paisibles à Kamakura, les deux mangas partagent de nombreux thèmes en commun, de l’absence de parents à la vie en bord de mer en passant par la pulsion de mort. 

Cependant le sujet de la semaine du shôjo et par extension de cet article est la condition féminine. Et je pense justement que Kamakura Diary en est son plus digne représentant. Dans son manga, Akimi Yoshida raconte les vies de quatre sœurs à partir de la mort de leur père. La petite dernière, Suzu, qui est en réalité la demi-sœur des trois autres, rejoint le foyer. Ainsi, elle découvre non seulement ses aînées (qui ne sont pas forcément toutes plus matures qu’elle) mais également la vie à Kamakura. Avec son regard de collégienne, Suzu a donc tout à apprendre, quand bien même elle a un caractère bien trempé et une curiosité à toute épreuve. À travers ses yeux, on se replonge dans la période mouvementée qu’est adolescence tout en explorant les moindres recoins de Kamakura, puisque la série se mue en guide touristique des environs. 

Le magazine mensuel Flowers proposait initialement de (re)découvrir des légendes du shôjo manga, à savoir des autrices comme Moto Hagio, Akimi Yoshida et Yumi Tamura. C’est un magazine destiné aux femmes, ce qu’on appelle josei en japonais. Mais avec le temps, il s’est mis à parler à un public plus jeune également. Cela répond à une logique purement commerciale car les adultes qui ne sont pas fans de mangas à la base n’en lisent pas forcément, même si le phénomène a été démocratisé par Happy Mania et qu’il continue actuellement avec les mangas d’Akiko Higashimura par exemple. Bref, pour le mensuel Flowers, il a fallu capter l’attention d’un public plus jeune tout en maintenant l’intérêt des lectrices passionnées par les vieux shôjo mangas. Parmi les mangas qui ont réussi à merveille cette prouesse, on compte Kids on the Slope dans lequel Yuki Kodama dessine la passion de lycéens pour le jazz dans le Japon des années 60. Elle y mélange des personnages jeunes avec une époque pas si lointaine dans laquelle on peut se projeter non sans nostalgie. Akimi Yoshida fait différemment. Elle dessine avec Kamakura Diary une protagoniste collégienne à travers laquelle elle aborde l’adolescence, mais pas seulement.

L’originalité de Kamakura Diary est que le manga est raconté selon plusieurs points de vue. Outre Suzu, Akimi Yoshida met en scène ses trois grandes sœurs : Chika, Sachi et Yoshino. Des personnages féminins adultes donc. Et non seulement elles ont des âges différents, mais elles ont en plus des personnalités qui n’ont pas grand-chose en commun. De cette manière, selon son profil, il est aisé de se reconnaître dans l’une ou dans l’autre un peu à la manière des deux Nana d’Ai Yazawa. On découvre leurs parcours, leurs problématiques, leurs proches, toujours avec une approche féminine dans toute sa diversité. Par exemple, Suzu joue au foot avec des garçons. Ce n’est pas un sport considéré comme féminin, surtout qu’elle se prend des coups, des remarques… Et pourtant, elle n’en reste pas moins une fille. Ce n’est pas parce qu’elle pratique un sport qui lui plait qu’elle n’est pas féminine. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, surtout que l’autrice confronte divers points de vue, mais il en dit long sur la manière dont Akimi Yoshida souhaite représenter la pluralité des femmes. 

En s’intéressant à la vie quotidienne de femmes, Kamakura Diary aborde forcément la question de la condition féminine. C’est un manga écrit avec finesse qui peut accompagner bien des lectrices à différentes périodes de leur vie. De cette manière, elles se sentiront tour à tour Suzu, Chika, Sachi et Yoshino. Contrairement à la BD européenne ou aux comics américains, le manga japonais s’est distingué par sa propension à s’adresser aux femmes. Le simple fait de ne pas occulter la moitié de la population est une des raisons expliquant son succès à travers le monde. Et rejeter cette diversité reviendrait à tuer ce qu’est le manga réellement. Kamakura Diary en est le plus bel exemple. C’est un chef-d’œuvre du manga terminé en 9 volumes disponibles aux éditions Kana, et je vous invite très fortement à le lire.

Voici la liste des participant(e)s à la semaine du shôjo :

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12 réflexions sur “Kamakura Diary : La condition féminine selon Akimi Yoshida

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  4. C’est vrai que quand on y pense, c’est dingue d’avoir des femmes qui écrivent pour des femmes, on ne rend pas assez compte. Je me faisais la remarque quand je lisais Yumi Tamura que purée les jeunes filles japonaises ont une chance immense d’avoir pu grandir avec des héroïnes Sarasa ou Hana comme modèles, des filles à la fois fortes et fragiles qui cherchent leur propre voie, qui ont un sens de la justice et du courage comme personne. Ca m’aurait tellemennnnt donné confiance en moi.

    Bref, ce que j’adore dans Kamakura diary, c’est la solidarité des sœurs. Elles se soutiennent mutuellement et surtout, Suzu n’est jamais infantilisée, elle est une enfant mais ses sœurs la traitent avec respect sans jamais lui imposer quoique ce soit sans lui demander son avis. C’est un trait important en terme d’éducation et de relation humaine, le fait de laisser le choix, sous-entendu la liberté, l’individualité. Et ça fait sens que le magazine veut s’adresser à des jeunes filles. Même remarque que pour Yumi Tamura, les Japonaises ont DE LA CHANCE d’avoir ces autrices qui leur donnent une autre perspective que ce que la société patriarcale veut imposer en général. (On commence à sentir ma jalousie haha).

    • C’est pour ça que ça me gonfle un peu (beaucoup) de voir le shôjo méprisé en France, qui plus est quand ça vient de professionnels du manga. C’est leur métier mais certains ne sont même pas capables de mesurer de quoi ils parlent, leur misogynie étant plus profonde que leur curiosité. C’est plus de l’énervement que de la jalousie pour moi haha, on devrait nous aussi avoir la possibilité de lire tous les 7 Seeds, Princesse Kaguya, Nodame Cantabile et autres en entier.

      • Logique commercial avant tout, ou bien c’est ce qu’ils veulent faire croire, je sais pas à quel point c’est un argument valable. En plus de misogynie, il y a aussi de l’ignorance et du manque d’implication…

        • Et quand ils en publient, ils font 0 comm dessus de toute façon. C’est épuisant. Par exemple le compte Twitter de Kana n’a quasiment rien RT ou même commenté sur la semaine du shôjo alors qu’outre Kamakura Diary, il y a eu plein d’articles sur Entre les lignes, Le pavillon des hommes, La Rose de Versailles…

  5. J’aime beaucoup la façon dont tu as découpé ton article, qui est merveilleusement écrit 💕 Ça m’a donné encore plus envie de découvrir ce titre que je ne connais que par son adaptation, que j’avais déjà adoré.

    • Merci beaucoup pour tes compliments…
      Il faut absolument que tu lises ce manga. Tu vas adorer ses ambiances, grandir en même temps que les sœurs et le côté guide touristique d’une ville de bord de mer. Je pense qu’il va te parler fortement.

  6. Pingback: Nos 11 shôjo sur la condition féminine préférés • Club Shôjo

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