Crusher Joe, l’oublié de l’Anime Grand Prix

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En survolant le palmarès du célèbre Anime Grand Prix d’Animage, on arrive à entrevoir certaines tendances au fil des décennies. Vite fait, on remarque la disparition des films primés depuis l’an 2000, l’explosion des productions Gainax dans les années 1990, celle des films du studio Ghibli dans la seconde moitié des années 1980 ou encore la domination sans partage du genre space opera au début des années 1980 (et à la fin des années 1970). Et ce n’est qu’une lecture parmi d’autres possibles. En regardant de plus près, on retrouve sans mal des titres bien connus, la plupart ayant bénéficié d’une diffusion francophone. Reste ceux qui n’ont jamais eu cette opportunité, ceux-là même qu’on pourrait qualifier d’« oubliés de l’Anime Grand Prix » : Future GPX Cyber Formula (1991), Crusher Joe (1983), Godmars (1982) et Space Runaway Ideon (1980). OK, la série Gundam 0079 aussi, mais tout le monde connaît Gundam et Beez a sorti les films en DVD. Pour la petite histoire, GPX Cyber Formula et Crusher Joe ont réussi à traverser le Pacifique en DVD et à gagner les côtes américaines, Crusher Joe étant même parvenu jusqu’en Italie. Godmars aussi s’est payé des vacances dans le Latium, le temps d’une diffusion sur une chaîne régionale de Rome, Super 3. Quant à Ideon, il n’a jamais officiellement franchi les frontières du Japon. Bien dommage quand on connaît les qualités du film conclusif.

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Crusher Joe est né de l’imagination du scénariste Haruka Takachiho, l’un des quatre fondateurs du studio Nue, formation connue pour être à l’origine de SDF Macross. D’abord héros d’une série à succès de light novel, Crusher Joe voit rapidement ses aventures être adaptées en manga (un tome paru en 1979). En collaboration avec Sunrise, un film sort en 1983, futur lauréat de l’Anime Grand Prix, au nez et à la barbe de Macross ! Bien plus tard, en 1989, deux OAV voient le jour. Depuis, Joe continue d’arpenter la galaxie dans des light novel paraissant par période : de 1977 à 1979, en 1983, 1989 et 1990, puis de 2003 à 2005 (après remaniement des anciens tomes de 2000 à 2002). Tout récemment, en février de cette année, Crusher Joe revient dans des aventures sous-titrées Le labyrinthe de l’eau.

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Takachiho est aussi le créateur de Dirty Pair, autre série de light novel, également adaptée sur grand et petit écrans et qui partage la même chronologie futuriste. Kei et Yuri (Dan et Danny, pour les nostalgiques de FR3) s’animent d’ailleurs pour la première fois dans Crusher Joe, en tant qu’héroïnes d’une fiction de cinéma et ce bien avant la diffusion de leur série TV en 1985.

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On remarque d’abord que Crusher Joe est totalement dans la mouvance de son époque, de son genre jusque dans son titre. Violence Jack, Space Cobra (titre original de l’anime), Cosmo Police Justy, Chôjin Locke (Luke l’invincible ou Luck l’intrépide en VF), toutes ces dénominations reflètent une mode dans les séries de S.-F. des années 1980. À défaut de patronyme, les héros de cette période porte souvent un prénom et un titre, un substantif qui leur colle à la peau (comme Ducon la joie, mais en mieux). Et si ce n’est le personnage principal, c’est le vaisseau ou la machine qui est mis en avant, mais souvent précédé de deux mots ou plus ; et ça marche en japonais comme anglais : Space Runaway Ideon, Mobile Suit Gundam, Armored Trooper Votoms, Space Warrior Baldios, (The) Super Dimension Fortress Macross, etc.

Plus qu’une transposition de l’œuvre de Takachiho, le film est le bébé de Yoshikazu Yasuhiko (Venus Wars, MS Gundam). Pour sa première réalisation, il cumule aussi les casquettes de chara designer, de dialoguiste, de co-scénariste, de co-storyboarder et de co-directeur de l’animation. Un engagement stakhanoviste. À ses côtés, on retrouve également de futurs grands noms de l’animation japonaise, comme Shôji Kawamori (Macross, Vision d’Escaflowne) au design des mecha, ainsi qu’une ribambelle de mangaka officiant en qualité de « designer invités » sur le projet : Akira Toriyama (Dragon Ball, Dr Slump), Hideo Azuma (Journal d’une disparition, Supernana), Katsuhiro Otomo (Akira, Dômu, rêves d’enfants), Keiko Takemiya (Terra e…, Kaze to ki no uta), Rumiko Takahashi (Lamu, Maison Ikkoku) ou encore Yumiko Igarashi (Candy, Georgie).  En fait, ce long métrage n’est pas une adaptation d’un précédent récit déjà publié. Il s’agit d’une histoire originale.

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Le synopsis en question :

À l’origine, les crusher étaient des éclaireurs de l’espace. Ils avaient pour mission de dégager les premières voies spatiales, détruisant des astéroïdes si nécessaire. D’où leur nom de crusher (broyeur, concasseur). Petit à petit, ils sont devenus des baroudeurs, mercenaires remplissant toutes sortes de mission : transport de marchandise, escorte de personnes, terraformation… En 2161, un certain Valenstinos fait appel aux crusher pour convoyer le corps cryogénisé d’une riche héritière jusqu’à la planète Miccola. Malgré le caractère banal de la tâche, Joe et ses équipiers finissent par accepter le contrat. Un saut en hyperespace plus tard, Valenstinos et la belle au glas dormant se volatilisent, laissant les crusher sur le carreau. Les ennuis ne font que commencer pour Joe et sa bande.

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Long de plus de deux heures, le film ne souffre pas de véritables longueurs. De scène d’action en scène d’action, le programme est bien rempli. Briefing, débriefing, nouveaux objectifs, masques qui tombent, rien de très original, mais pas le temps de s’ennuyer. Petite particularité néanmoins, au milieu d’un déluge d’action, le film s’autorise un timide intermède introspectif. De son propre aveu, Joe avoue se sentir écrasé par son ascendance. Très jeune et sans se poser de questions, il a dû reprendre le flambeau laissé par son père, Dan, ancienne gloire et désormais à la tête du conseil des crusher. C’est la contradiction qui anime le héros : d’un côté, aventurier épris de liberté, de l’autre, fils de, voué à suivre la voie tracée par un père auquel il reproche de s’en être écarté. On retrouve le thème du conflit avec le père, récurrent dans les productions de l’époque. Par la même occasion, on s’éloigne un peu de l’archétype du preux chevalier, invulnérable et toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin. Bien que faisant partie d’une élite, Joe et les siens ne sont pas invincibles, loin de là. Souvent manipulés, ils finissent toujours par être le grain de sable dans les rouages d’une machination, le dindon qui fait déjouer la farce.

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Dans les OAV, le ton change. Joe n’est plus qu’un poseur. Plus aguerri, mieux bâti, mais moins charismatique et surtout moins cabot, il a grandi trop vite. Finie l’aventure subtile, teintée d’émotions, place à l’action qui tache. La première OAV est peut-être la moins bonne fournée de la saga. Scénario tiré par les cheveux, eyecatch à chaque ellipse (et il y en a !), fan service cache-misère : le charme du film s’est évanoui. La seconde est mieux réalisée. Elle gomme les défauts de la première et s’amorce même plutôt bien, Joe et compagnie apparaissant assez tardivement et de manière théâtrale. Mais le soufflet retombe très vite. Les cloaker, armes mi-organiques mi-mécaniques conçues pour s’attaquer à l’homme, rappellent trop Predator, sorti 2 ans plus tôt. La flore tropicale et la vision cybernétique des prédateurs sont deux éléments flagrants de cette resucée. Pire encore, l’intrigue lorgne rapidement vers une n-ième mission de secours qui tourne mal, pompée sans vergogne sur Alien. Ultime déception, l’absence du colonel Kowalsky. Ce militaire dans toute sa splendeur, diamétral opposé du crusher et personnage symbolique de la toute-puissante Union spatiale, manque cruellement à l’appel. Ses savoureuses joutes verbales avec Joe aussi.

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Pour résumer, le film est un excellent divertissement, doté d’une technique admirable, d’un humour « bon enfant » (Dongo, le robot qui lit du porno), de passages dramatiques et d’antagonismes bien pensés. Les OAV, sans être des navets, sont plutôt de celles qu’on regarde volontiers, mais qu’on oublie vite.

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