[Nouvelle] Le témoin ne fait qu’observer

Aujourd’hui, je vous ressors une nouvelle que j’ai écrit en 2010

Le témoin ne fait qu’observer

 

 

 

1945, Berlin, Allemagne

Il observait.

Le coup de feu résonna comme si l’acoustique de la pièce n’avait été conçue que pour ce moment. Mais l’observateur ne sursauta pas, ne cligna même pas des yeux en fait. Il avait l’habitude des coups de feu. Et des explosions, et des cris, et des séismes, et de tout vacarme ayant jamais été entendu par un être vivant.

La main du petit homme retomba mollement, entrainant la chute du revolver sur le sol. Du sang lui coulait de la tempe. Il ne s’était pas raté. Toute personne présente dans le Führerbunker devait désormais savoir ce qui s’était passé. Mais seul l’observateur en avait été le témoin direct. La fin du troisième Reich. Et une défaite pour Zorac. Son héros avait perdu la bataille.

Il avait déjà disparu quand le corps fut découvert.

33, Jérusalem, Judée

 

Il s’était donné un nouveau nom. Rassilon. Il l’avait inventé tout seul, et en était très fier. Même s’il savait que personne d’autre que lui n’allait l’appeler ainsi. Il n’avait pas eu de nom à sa création. Et les autres se contentaient la plupart du temps de l’appeler « L’Observateur » ou « L’Arbitre ». Mais quand il lui arrivait de penser à lui, il aimait avoir un véritable nom. Les Dieux s’étaient créés les leurs, alors pourquoi pas lui ? Histoire de se sentir plus défini. Plus qu’un simple concept, ou qu’un pure fonction. Car un concept ne pouvait pas réellement réfléchir.

L’homme se promenait avec un sourire honnête sur les lèvres. Pourtant il savait ce qui allait lui arriver. Non pas parce qu’il était le fils de dieu, comme des milliards de gens le penseraient dans le futur, mais parce que certains Dieux l’avaient mis au courant de certaines choses. Rassilon savait exactement quels Dieux avaient parlé à l’homme. Ils formaient l’une des factions les plus puissantes et rusées de l’univers, le clan Omega. Ils avaient réussi à faire croire à l’homme que son sacrifice était nécessaire. Pour l’humanité. Les grandes victoires sont souvent basées sur de grands mensonges.

Bientôt, l’homme serait crucifié. Rassilon le savait car même si son observation respectait la linéarité du temps, son esprit pouvait outrepasser certaines barrières (toutefois, il ne pouvait pas voir son propre avenir). Puis 3 jours plus tard, le clan Omega ramènerait l’homme à la vie. La cerise sur le gâteau. Les gens aimaient les miracles. Un bon miracle créait plus de dévots que n’importe quel discours.

Créer un faux Dieu et faire en sorte qu’il ait le plus de croyants possible pour grossir l’armée de vrais Dieux. Rassilon pouvait saisir l’ironie. Quoi que, pas dans sa totalité, puisqu’il était dénué de sens de l’humour. Cela n’avait pas été jugé nécessaire pour un observateur. Le clan Omega allait grossir ses rangs de manière exponentielle à partir de ce jour. C’était une belle victoire. L’observateur devait en prendre compte.

9000 avant JC, Océan Atlantique

 

Il venait de quitter une réunion houleuse. Elles l’étaient toutes, mais celle-ci avait eu des conséquences assez inhabituelles. Le clan Romanadvoratrelundar et le clan Omega s’étaient ligués contre Drax, l’accusant d’utiliser des méthodes déloyales, de tricher. Drax avait alors argumenté que la guerre n’était pas un jeu. Mais l’observateur avait bien vu qu’il souriait en disant cela. Et les autres l’avaient vu également. Soudain, Maxil, du clan Romanadvoratrelundar se jeta sur Drax, et lui trancha le cou d’un revers de la main. Visuellement, cela ressemblait beaucoup à un conflit physique entre humains, les Dieux gardant une apparence semblable aux habitants de la Terre la plupart du temps. Mais bien entendu, même si l’attaque avait été observable à l’œil, ce ne fut pas la décapitation qui tua Drax (un Dieu n’était tout de même pas si fragile), mais la volonté réunie de tous les Dieux contre lui.

Les esprits s’étaient alors calmé quelques secondes pour mieux s’échauffer de plus belle. De certains clamant l’autorité sur les humains appartenant à Drax, d’autres criant à un viol des règles, tous finirent par se tourner vers l’observateur. C’est en partie pour cela qu’il avait été créé. Afin de vérifier que la guerre se déroulait selon certains principes. Le problème était que ces principes n’avait jamais clairement été énoncés par personne, car c’est ainsi que les choses se déroulaient chez les Dieux. L’observateur devait donc réfléchir, se souvenir, et improviser. Réfléchir à ce que voulaient les Dieux, à qui était le coupable et qui était le lésé. Se souvenir des règles de cette guerre, ces règles jamais écrites, jamais édictées, vagues et fragiles. Improviser une réponse, une décision qui rendrait un semblant de justice, qui réparerait les dégâts, une décision de guerre. Et c’est ce qu’il fit.

Maintenant, il contemplait les conséquences de cette décision.

Des cris. Des millions de personnes courant, affolées, vers un abri qui n’existait pas. Le sol, se brisant sous leurs pieds. Des raz de marées sur tous les littoraux. Des feux apparaissant là où cela devrait être impossible, y compris dans le ciel. Malgré la distance à laquelle il se trouvait, l’observateur pouvait même discerner les larmes et le sang. Et un bruit unique recouvrait l’entièreté de la scène, un grondement assourdissant qui semblait provenir des entrailles de la planète. C’était en fait le son du continent en train de couler, de se faire recouvrir par l’océan et l’oubli.

En quelques heures, Atlantis disparut. Le continent, son peuple, sa technologie, sa culture, son histoire, tout cela ne resterait vivant que dans quelques légendes prises avec peu de sérieux. C’était la décision de l’observateur, personne n’hériterait du peuple de Drax, ainsi les Dieux éviteront de s’assassiner entre eux et respecteront les règles de la guerre.

Mais l’observateur n’était ni un Dieu, ni un être humain. Et en contemplant l’océan, il se demanda si la tristesse qu’il ressentait était de la culpabilité.

2001, New-York, Etats-Unis

Deux avions. Deux tours. Des cris et des morts. La scène n »était pas si originale à regarder. Mais les médias penseront le contraire. Et c’est ce qui en ferait un moment si important de la guerre. Les médias étaient une nouvelle arme. Peut-être même la plus puissante. Cette victoire revenait au final à Runcible, qui régnait sur le territoire de Manhattan. Les martyrs créent des héros.
L’observateur ne resta pas longtemps, il se demanda si cette guerre ne commençait pas à l’ennuyer. Ou peut-être que les Dieux étaient la source de ses humeurs.

1888, Londres, Angleterre

Mary Jane Kelly était une belle femme de 25 ans qui ne disait jamais non à un verre. Elle parlait avec un accent gallois déchirant qui ne faisait qu’ajouter à son charme. Et quand elle était suffisamment ivre, elle chantait avec un accent irlandais qui ne la rendait que plus mystérieuse et désirable.

Tout du moins, c’était l’avis de l’observateur.

Les gens du quartier la connaissaient sous plusieurs surnoms; Fair Emma, Black Mary, Marie Jeanette,… Elle aimait chanter, même lorsqu’elle était avec un client dans sa chambre. L’observateur aimait l’écouter chanter, parfois elle continuait même pendant que son client faisait sa petite affaire. Elle souriait quand elle chantait. D’un sourire honnête qui n’avait rien à voir avec celui qu’elle affichait pour attirer les hommes.

Elle devint célèbre quand, le 9 novembre, son corps fut retrouvé sans vie – également sans cœur et sans viscère – par Thomas Bowyer, qui venait lui réclamer le loyer en retard. Elle devint alors « Mary Jane Kelly, la cinquième et dernière victime de Jack l’Eventreur ».

Elle était également la dernière guerrière de Gomer. Il était maintenant hors-jeu. Son territoire allant au vainqueur, Salyavin, dont le héros (le fameux Jack, qui deviendrait célèbre) avait fait du bon travail. L’observateur savait qu’il n’était là que pour comptabiliser la victoire, mais il ne pouvait s’empêcher de penser à Mary Jane Kelly, souriant dans la nuit de Whitechapel.

?, ?, ?

 

L’observateur restait debout et écoutait.

Les Dieux parlaient.

Ou tout du moins, c’était ce que la cacophonie laissait penser.

Ils se réunissaient toujours au même endroit, quelque part entre l’espace et la pensée. Le but de ces rassemblements était de répertorier quels territoires appartenaient à quels clans, les nouvelles alliances, et surtout de se menacer de la manière la plus puérile possible. L’observateur leur servait principalement de base de données. Il voyait tout et retenait tout. Qui avait gagné quoi ? Qui avait vaincu qui ? Combien de morts dans chaque camp ? Etc. Et il avait eu beaucoup à comptabiliser ces derniers temps, les Dieux étaient en pleine effervescence d’idées; conflits armés, attentats, cyclones, éruptions, tremblements de terre, nouvelles maladies, et même quelques comètes. Les morts s’étaient comptés par millions. L’observateur pouvait sentir l’ambiance électrique, les Dieux en voulaient plus, les grands désastres et la manipulation d’êtres humains ne leur suffisaient plus. L’observateur avait déjà assisté à quelque chose de similaire chez les humains, certains appelaient ça « l’appel du sang » Les Dieux ne saignaient pas mais ils le désiraient justement. Mener leur petite guerre du haut de leur piédestal avait réveillé d’autres instincts, même si cela avait pris quelques millions d’années.

Alors l’observateur eut une idée.

Et il la partagea.

Non pas car c’était son rôle, mais parce qu’il trouvait que c’était vraiment une bonne idée.

4231, Près de Mars, Système Solaire

Un combat était beau, quel que soit l’endroit où il se déroulait. L’observateur avait appris ça il y avait fort longtemps. Les moments de bravoures, les explosions, la mort, le désespoir, la danse entre ennemis,…beaucoup de qualificatifs avaient été employés pour décrire les batailles livrées dans le monde des humains, mais l’observateur pensait que la beauté était à chaque fois présente. Bien sûr, il fallait peut-être posséder son point de vue particulier pour trouver cette beauté.

Et dans l’espace, c’était encore plus impressionnant. Surtout les explosions. Rien de tel que des centaines de vaisseaux éclatants en milliers de morceaux sous un déluge de lumière, et retombant dans l’atmosphère la plus proche sous la forme de milliers de morceaux de métal brulants.

Dommage qu’il n’y ait pas de son dans l’espace.

La vaisseau-amiral de Salyavin venait de se rapprocher du conflit. La victoire était proche et Salyavin devenait toujours trop confiant et présomptueux dans ce genre de moments. L’observateur le savait. Il savait aussi que les troupes de Romanadvoratrelundar avaient en fait été envoyées en mission suicide, transportant une bonne dizaine de charges nucléaires attendant juste le moment où le Dieu d’en face serait suffisamment près.

Maintenant.

La déflagration créa un éclair de lumière blanche visible sur plusieurs millions de kilomètres. L’observateur sourit. Cette guerre était devenue bien plus violente depuis que les Dieux avaient décidé de s’incarner en être humains afin d’être au premier rang. Même si cette idée était en fait celle de l’observateur, ils étaient trop arrogants pour s’en souvenir. Mais lui, savait. Et à présent, c’était son tour de manipuler un peu par-ci et d’influencer un peu par-là. Le tout avec bien plus de subtilité que les Dieux eux-mêmes. Bien que, de temps en temps, une belle explosion comme celle-là ne se refusait pas.

Les êtres humains étaient en pleine conquête de l’espace. Après avoir créé une base militaire sur la Lune. Ils avaient colonisé Mars (encore en pleine terrafomation à ce jour) et installé une immense station orbitale autour de Jupiter. Mais la découverte du cosmos n’avait pas amené la paix comme certains l’espéraient. Que ce soit pour des questions de territoire, de religion, ou tout simplement de qui-a-la-plus-grosse, les conflits étaient toujours aussi nombreux. Et l’observateur se débrouillait pour qu’au minimum un Dieu périsse à chaque nouvelle guerre.

Il se demandait ce qui arriverait une fois qu’ils seraient tous exterminés.

Peut-être rien.

Mais il était curieux.

3,2 millions d’années avant JC, quelque part en Ethiopie

 

L’observateur ramassa un caillou. Le terrain était entièrement rocheux dans le coin. Il descendit une légère pente et arriva sur le lieu du massacre. Treize individus ensanglantés gisaient là. L’observateur ne savait pas encore les détails, quel Dieu avait organisé leur mort, et comment, il devrait se renseigner plus tard. Sa création était toute récente, il apprenait. Mais il savait ce qu’était sa fonction première, comptabiliser les morts. Être le témoin de la guerre la plus importante de toute l’histoire. La seule réellement importante. Les Dieux avaient commencé cette guerre par simple ennui, pour savoir qui était le plus puissant d’entre eux. Ils utilisaient les être humains comme soldats, armes, et outils C’est ainsi qu’on lui avait présenté les choses.

Et en regardant ces treize cadavres, ancêtres des futurs Australopithèques et Homo Sapiens, gisant dans cette cuvette rocheuse que les archéologues du futur appelleraient « Site 333 » (et même « Berceau de l’humanité » pour certains romantiques, un nom original pour ce qui était en fin de compte un cimetière plus qu’autre chose), en regardant tout ça et en ayant ces connaissance, l’observateur restait songeur.

Comment quiconque allait pouvoir gagner cette guerre ?

4 réflexions sur “[Nouvelle] Le témoin ne fait qu’observer

  1. Loin de moi l’idée d’être un brin indiscret, mais ne serais-tu pas le légendaire tortionnaire de JE ? Ton pseudo m’est assez familier, je dois l’admettre.

    Quoi qu’il en soit, il y a du talent dans cette nouvelle. Mes compliments.

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