Le sujet épineux de la traduction des onomatopées

Prenez un manga au hasard dans votre collection, et regardez les onomatopées. Vous avez des chances de tomber sur différents cas de figure : des onomatopées complètement traduites, qui remplacent le texte en japonais, ou bien les onomatopées laissées telles quelles.

Okay, maintenant, let’s fight ! Qu’est-ce que vous préférez ?

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L’exemple même de la traduction qui abime l’image – Kenshin, ancienne version tankôbon et Perfect, éditions Glénat

Pour le reste, vous avez plusieurs écoles. La première est donc de traduire les onomatopées. C’est le cas de maisons d’édition comme Kurokawa, qui le fait systématiquement. Et vous avez le choix de laisser les onomatopées de base, ce que font la plupart des éditeurs par économie. Il y a trois déclinaisons à cette façon de faire : ne rien traduire du tout, ajouter une petite traduction discrète en-dessous, ou encore mettre la traduction en dehors des cases.

Quel que soit votre avis sur le sujet, il est valable, car il n’y a pas de solution miracle. Je tiens d’ailleurs à préciser que les éditeurs français sont totalement dans leur rôle quand ils décident de traduire les onomatopées, qu’on ne peut pas leur reprocher réellement.

C’est au lecteur qu’appartient de décider finalement l’approche à adopter. Et ça se résume à la question : un manga, c’est quoi pour vous ? Un divertissement ou l’approche artistique d’un auteur ?

Si vous lisez un manga comme un simple divertissement, alors évidemment, la traduction s’impose pour vous. Elle permet un meilleur confort de lecture et un désencombrant des cases.

IMG_2503Exemple – un Badam qui dénote le trait de l’auteur – Ippo, éditions Kurokawa

En revanche, si (comme moi), vous estimez qu’un manga est une expression artistique et qu’elle témoigne d’un message et d’une recherche esthétique voulue par un auteur, alors dans ce cas il faut adapter AU MINIMUM le support dans son entièreté, et laisser UN MAXIMUM de place au matériau d’origine. Ce n’est que de cette façon qu’on appréhende le travail d’un auteur en dehors d’éléments qui sont venus se greffer de manière extérieure, et que l’auteur lui-même ne peut pas vérifier à toutes les échelles.

Ono 1 Exemple – une onomatopée très graphique, difficile à traduire sans abimer l’image

Cela fait des années que je débats sur le web des onomatopées de manga, et j’ai l’impression que mon avis est rarement compris. Et comme je le dis plus haut, c’est dû à mon approche du support, qui n’est pas celle de tout le monde. Avec le manga, la bande dessinée, le cinéma, la musique, je cherche à me cultiver et à apprécier les hommes et leur rapport à une forme d’esthétisme qui se cachent derrière leurs œuvres. Quand les auteurs parlent d’eux, de leur histoire, de leurs tourments, c’est quasiment ce que je préfère. J’appréhende en premier une œuvre par rapport à sa dimension « auteur ». Et comme beaucoup d’onomatopées ne sont pas « tapées », mais « dessinées », parfois de manière très subtile (Air Gear en est un bon exemple me dit-on), ça me gêne énormément qu’on les remplace. C’est comme le doublage d’acteurs dans les films lives : vous ne m’enlèverez pas de l’idée que doubler un acteur, c’est retirer une partie de son jeu et de son travail pour le sous-traiter à quelqu’un d’autre (quand bien même ce quelqu’un d’autre a beaucoup de talent et le fait de manière légitime).

Évidemment, il faut faire des concessions. Mon approche est valable pour la traduction du texte elle-même. Est-ce que j’ai le courage d’apprendre le Japonais pour lire des mangas en VO pour autant ? Ça serait parfait mais ce n’est pas le cas. On a toujours besoin d’adapter une œuvre pour la rendre compréhensible mondialement. Mais si on acceptait de perdre un petit peu en confort, on gagnerait en appréhension culturelle.

  Il y a quelques cas où, en revanche, traduire devient absolument nécessaire.

IMG_2517La cohérence graphique, c’est une chose, mais quand il y a trop d’onomatopées non traduites et pas compréhensibles… Vie de Mizuki, éditions Cornélius

IMG_2516Sans traduire cette onomatopée, il y a fort à parier que le gag perdrait énormément en impact – Dr Slump édition Perfect, éditions Glénat

14 réflexions sur “Le sujet épineux de la traduction des onomatopées

  1. Personnellement, je préfère qu’on touche le moins possible au support d’origine… Si la traduction des onomatopées empiète sur le rendu original d’une planche et en change carrément l’esthétisme, la composition… ça me fait mal au cœur et ça gâche tout le plaisir. Après évidemment tout est une question d’adaptation, et une petite trad’ discrète est toujours utile suivant le contexte. Donc pour l’exemple de Kenshin, clairement team de l’image de droite ^^

  2. Je suis à la fois d’accord et pas d’accord. Pour moi, il faut œuvrer au cas par cas, en fonction des velléités artistique de chaque série.
    Dans Dededede Inio Asano joue avec les onomatopées à tel point qu’il est impensable de les adapter sans modifier viscéralement le travail de l’auteur. Et c’est un peu la même chose pour Mizuki, les onomatopées ont un tel charme que je pense qu’il n’est pas nécessaire de les traduire, et encore moins de les adapter. Sans compter que de part leur prix, les livres s’adressent à un public connaisseur.

    Par contre pour Ippo et les mangas du genre, je trouve ça moche mais pas choquant. Les auteurs cherchent avant tout à nous raconter des histoires, à nous passionner par l’intensité des scènes. Du coup adapter aide à s’immerger. Mais bon, c’est sûr que je préfère un traduction discrète comme sur la kanzenban de Kenshin plutôt qu’une adaptation grossière.

    Par contre là où j’ai tiqué, c’est sur ton exemple sur les sous-titrages, j’y trouve ton point de vue allant à contre-sens complet avec la vision que tu développes dans ton article. Je veux bien que le doublage réduise le jeu des acteurs (bien qu’il ne faille pas se leurrer, c’est déjà le cas avec la post-prod) mais le sous-titrage lui dénature le travail du réalisateur/scénariste et donc de l’auteur. En adaptant partiellement (parce que sous-titré ne permet pas de saisir la force du texte original, contrairement au doublage) le jeu des acteurs est peut-être sauf, mais c’est celui du véritable instigateur du film qui en prend plein les dents.
    Le mieux est de le regarder en vo, c’est sûr. Mais tant qu’il n’y a pas une langue universelle il est impossible de connaître tous les idiomes du monde et il est donc nécessaire d’adapter pour que l’ouvrage, film ou BD, soit le plus compréhensible possible.

    • Le cas par cas peut aussi être envisagé, c’est vrai. Et si je préfère une non-traduction à une traduction complète, j’avoue quand même me poser des questions sur la signification de l’ono quand je n’ai aucune carte en main, et ça ralentit ma compréhension.

      Pour le cas du doublage, deux choses : premièrement, je regarde surtout des lives en langue anglaise, une langue que je connais un peu. Donc j’arrive à saisir les différences entre les voix parlées et les sous-titres, ce qui ne gâche aucunement le script en ce qui me concerne. Je ne perds donc rien du travail de l' »auteur ». Et je pense que ce cas précis représente une majorité du sujet du doublage, et penche donc en faveur du sous-titrage couplé à un minimum de compréhension de l’Anglais pour préserver le travail de l’auteur. C’est un peu alambiqué, c’est vrai, mais on apprend tous l’Anglais à l’école (et de plus en plus tôt), donc faire cet exercice permet à la fois de comprendre entièreté de l’œuvre et préserver le jeu d’acteur, qui contribue énormément à l’impact esthétique de ces arts visuels.

      En second lieu, les autres films en VO que je regarde sont des films asiatiques. Je ne peux, certes, rien comprendre à la langue. Et le sous-titre simplifie le script. Pourtant, les rares fois où j’ai essayé la VF, le (bon) jeu d’acteur des doubleurs francophones et le jeu des acteurs asiatiques n’étaient absolument pas sur ton sur ton (différence culturelle oblige), et ça flingue complètement l’appréhension de l’œuvre.

      Conclusion, que faut-il choisir dans ce cas-là ? La simplification partielle ou une grosse dénaturation ? Je préfère le premier cas. La différence avec les onomatopées, c’est que ça coûte rien de ne pas traduire et on préserve beaucoup mieux les graphismes.

      Il faut toujours faire des concessions. Est-ce que tu me suis un peu mieux maintenant ? ;)

  3. Bonjour !
    Le lettrage est une partie du travail de notre studio, donc je me permets de commenter cet article :)

    L’onomatopée est un vaste sujet ! Tout d’abord, on parle dans cet article essentiellement de retouche graphique, et non de traduction (littéraire), qui est un autre sujet tout aussi vaste. Dans le jargon, retirer une onomatopée japonaise par une française se dit « remplacer » ou « retoucher ».

    Au démarrage de l’édition du manga en France, les éditeurs ont pris le parti de remplacer toutes les onomatopées japonaises pour toucher le public plus facilement. Personne ne connaissait le manga et c’était un choix plutôt évident. Au fur et à mesure des années, le public a mûri et a fini par demander des mangas plus fidèles, ce qui impliquait, entre autres, de garder le graphisme des onomatopées.
    Donc, garder une onomatopée japonaise sur la planche relève de la politique éditoriale de l’éditeur français. Dans le cas de Kurokawa, un grand nombre de ses titres sont destinés aux enfants (« Pokemon »), mais pas uniquement. Peut-être ont-ils décidé cela pour harmoniser l’ensemble de leurs titres et, au nom de l’accessibilité, ce parti pris se défend pour le « confort de lecture ».

    Désormais, il est convenu depuis longtemps que l’onomatopée est un dessin en soi qui appartient à l’œuvre. Dans les exemples cités, on le voit bien, c’est très graphique et cela prend part à la narration globale du manga. Je crois me rappeler que Takehiko Inoue a demandé à Kana de réduire/stopper les retouches graphiques, notamment sur les maillots de sports de « Slam Dunk », au cours de la parution française. Il défendait le travail graphique que cela représentait.
    Pour les éditeurs qui n’ont pas/plus cette habitude de tout remplacer, certaines exceptions sont faites pour toucher un maximum de public lorsque le manga a le potentiel pour intéresser un public peu habitué à l’univers manga (« Thermae Romae », « 7 Shakespeares », « À nous deux, Paris ! »). Ces mangas ont, en général, une thématique universelle. Le choix de remplacer toutes les onomatopées est un choix difficile, car, pour le lettreur, c’est un travail beaucoup plus laborieux. Celui-ci devra retoucher les planches et redessiner certaines parties des cases ! En cela, on « abîme » un peu l’œuvre.

    Pour rester encore plus fidèle de l’œuvre, la solution du « sous-titrage » a été trouvée et appliquée. Elle consiste globalement à mettre la traduction de l’onomatopée à côté de cette dernière. Ainsi, on garde le style graphique, mais on peut lire la traduction du japonais sans effort.
    Dans le sous-titrage, il y a différentes gammes d’implication. On trouve des onomatopées simplement écrites, toutes dans la même police typographique, qu’on peut considérer comme une annotation à même le dessin (comme dans « Happy ! », par exemple). Il y a ensuite parfois un effort graphique pour que l’onomatopée française soit conçue dans le même style que la japonaise. Le lecteur pourra alors ressentir plus fidèlement l’intention de l’auteur.

    Enfin, le sous-titrage n’exclut pas le remplacement d’onomatopée. Des éditeurs peuvent décider de remplacer intégralement toutes les onomatopées/paroles émises par la voix d’un personnage (« ah ah », « gloups »…), et sous-titreront tous les bruits (« PAN », « BOUM », « SBAM »…). D’autres préféreront garder l’aspect graphique de l’onomatopée et ne remplaceront que les plus petites, qui ne présentent pas un intérêt graphique particulier.
    D’autres feront au feeling ou mettront des astérisques et noteront la traduction dans les gouttières, entre les cases, avec le risque de faire sortir le lecteur de l’histoire pour chercher la traduction quelque part.

    Il n’y a pas de « bonne réponse » selon nous. Il faut juste qu’un éditeur prenne une décision en fonction du manga qu’il veut éditer et transmettre à son public :)

    • Merci beaucoup d’avoir réagi ! Ça fait toujours plaisir de voir des professionnels et lire et commenter nos articles ! Et en plus, ton commentaire éclaire pas mal de choses :)

      On rejoint la solution du « cas par cas » énoncée par Meloku ci-dessus. Je constate cependant que dans votre profession, on a observé que le public préférait garder l’ono comme élément graphique, et que c’est ce pour quoi la plupart des mangas voient leurs ono conservées. Je me réjouis de voir que beaucoup de gens ont la même approche que moi, en faveur d’une cohérence graphique, quitte à ne pas avoir une lecture fluide à 100%. Pour en revenir à l’exemple de Kurokawa avec Ippo, je comprends leur besoin d’harmoniser la politique sur leur catalogue, mais j’aurais vraiment préféré que cette série, qui ne s’adresse pas spécialement aux plus jeunes, puisse garder ses onos et le travail de l’auteur là-dessus.

  4. Alors, personnellement, je suis un lecteur totalement lambda et je n’avais pas vraiment d’avis concernant les onomatopées avant cet article parce que… je les zappe purement et simplement si elles sont pas retouchées !
    Ça occasionne quelques problèmes parfois, par exemple quand je ne vois pas la suite logique entre deux cases et que je dois revenir en arrière dans ma lecture parce que j’ai raté un « ding dong » en onomatopée.
    Le problème chez moi, c’est que grosso modo, le fait que l’on ne retouche plus vraiment les onomatopées m’a rendu hermétique envers elles, les onomoatopées sont juste devenues un élement de décor qui fait beau sur la page (désolé ;_;) plus que quelque chose qui doit, à la base, améliorer l’immersion en « informant » le lecteur du paysage sonore de l’action, le côté utilitariste s’est perdu chez moi en quelque sorte !

    Mais du coup, je me dis que je dois changer un peu mes habitudes de lectures en y prêtant plus d’attention, merci !

    • Tu mets le doigt sur un autre sujet : que doit faire une ono en premier ? Informer ou participer au dessin ? Je n’en ai pas vraiment parlé dans mon article, donc merci de l’évoquer ici.

      Je pense que les ono sont tellement tordues, déformées, travaillées, qu’elles ne peuvent être réduites à un simple rôle d’information, sinon l’auteur se contenterait de l’écrire de la manière la plus simple. D’ailleurs, les ono sont dans 99,99% des cas des transcriptions de sonorités. Et la sonorité joue sur les sensations à la lecture et l’esthétique d’une scène (comme le sont les bruits dans les films). Ce serait donc plus une question d’esthétique que d’information, et il faudrait y toucher le moins possible. Mais ce n’est que mon avis ;)

  5. Personnellement, même si je préfère voir les onomatopées originales, au fond je m’en fout un peu. Ça n’influence pas mes choix d’achats et jusqu’à présent n’a jamais nuit à mon plaisir. Je comprend le besoin d’aller chercher un plus grand public qui ne veut pas nécessairement se prendre la tête avec ce genre de détail. J’imagine que le savoir avant de lire la version française pourrait augmenter les chances d’être choqué. « Ignorance is bliss » comme disent les anglais.

    Sans apprendre complètement le japonais, j’ai trouver qu’apprendre les hiragana et katakana n’est pas très difficile.(Les kanji c’est autre chose.) Alors même s’ils ne sont pas traduits, ça ne me pose généralement pas trop de problème. (Je ne dois pas être un très bon exemple de lecteur type, heh.)

    • On en revient donc à apprécier un manga comme un divertissement ou comme une œuvre avec une portée artistique.

      Pour les hiraganas et compagnies, je ne peux pas dire, je n’ai jamais vraiment chercher à les traduire moi-même il est vrai. Quand la non-traduction est totale (par exemple, les premiers JoJo édités par Tonkam), je me fiais à leur forme et donc à leur esthétique pour saisir le ton de la scène (genre un grand machin qui slashe la page, c’est un coup vachement violent, ou une énorme tension selon le contexte).

      • C’est bien certain que le contexte joue pour beaucoup. Je pense qu’il est possible pour un lecteur de laisser aller son imagination selon la logique de l’image et du scénario. Après tout, quand tu vois un mec qui fait de la découpe avec son épée ou alors un gang de motos qui défile à tout allure, il est évident que ça ne fait pas « plouf » ou « bing ». De tout façon une moto dans la vrai vie ne fait pas que « prout prout » ou « vrrrm vrrrm », alors parfois je convertis l’effet sonore dans ma tête, je trouve que parfois ça aide à bien visualiser certaines scènes.

        Somme toute, la façon que je préfère est généralement celle des sous-titres dans la marge.

        Autre parenthèse, j’ai souvent remarquer que les onomatopées n’ont pas le même son en français et japonais. C’est à dire qu’ils ne sont pas écrits du tout de la même manière. J’ai trouver intéressant de constater comment, selon la langue et la culture, la façon de percevoir et représenter le même bruit peut être très différente. Pour prendre un exemple que j’ai sous la main, dans Blue de Naoki Yamamoto, un mec roule en scooter et on peut voir les « taka taka taka » au dessus avec « brrrr brrrr brrrr » à côté.

        • Nous nous permettons à nouveau de rebondir sur le sujet, car la traduction, et a fortiori la traduction des onomatopées, fait partie du travail de notre studio. Et là, on parle de la traduction pure, littéraire, et non de l’adaptation graphique.

          C’est un sujet qui mériterait certainement un article en soi et qui anime tous les jours les traductrices de notre studio. L’onomatopée fait partie intégrante du manga, parce qu’elle habite la langue japonaise de façon générale. C’est un véritable phénomène linguistique, bien plus étendu qu’en français, si bien qu’il existe plusieurs catégories d’onomatopées (giongo, giseigo, gitaigo), quand nous n’avons, en français, qu’un seul mot barbare pour les désigner. Sans nous étendre davantage sur l’aspect linguistique de tout ça, ces nomenclatures montrent bien à quel point l’onomatopée est importante en japonais.

          Malheureusement, le traducteur de manga est encore assez désarmé pour s’attaquer à ce gros morceau, c’est ce qu’analyse Jean-Marie Bouissou dans son ouvrage Manga, histoire et univers paru chez Philippe Picquier. Comment retranscrire l’onomatopée du silence, l’onomatopée d’un regard insistant, l’onomatopée d’un choc mental, l’onomatopée d’un acquiescement ?

          Le sujet intéresse peu les linguistes. À peine dispose-t-on d’un solitaire Dictionnaire des onomatopées signé Pierre Enckell et Pierre Rézeau. En l’état, il est malheureusement difficile à utiliser pour le traducteur de manga, car s’adressant davantage au lecteur curieux par son mode de classement et ne répertoriant pas les onomatopées de la bande dessinée (à part Tintin).

          C’est un véritable défi pour le traducteur de parvenir à ce que le lecteur comprenne, en un coup d’œil, ces sons, qui ont souvent un véritable rôle narratif. Car il n’est pas rare dans une page, que l’onomatopée soit la seule représentante d’une action, d’un phénomène, d’une réaction. Elle sert parfois à indiquer quelque chose qui se passe en contrechamp et parfois, pour ne pas dire la plupart du temps, à donner corps à la texture d’une action. Si on voit, par exemple, un personnage qui brandit un pistolet avec une onomatopée tonitruante en fond, l’effet sera complètement différent si le son derrière est « PAN » ou si c’est « CLIC CLIC ». Si le lecteur ne comprend pas immédiatement que le coup est parti ou bien que le chargeur est vide, il passe à côté de tout l’effet voulu par l’auteur. Et dans les faits, c’est encore bien trop souvent ce qui arrive. Parce que la traduction choisie pour l’onomatopée n’est pas assez claire, parce qu’elle n’est pas assez visible, parce qu’elle n’a pas été traduite du tout, etc. Les raisons sont légion.

          L’exemple du pistolet est facile à comprendre, car on dispose en français d’onomatopées qui fonctionnent bien pour un coup de feu ou un chargeur vide, mais dès qu’on touche à des onomatopées qui n’ont littéralement pas d’équivalent classique, le traducteur est bien embêté. D’autant qu’il est souvent influencé par sa connaissance de la langue japonaise, il y est si familiarisé que lorsqu’il voit « jiii », il a l’impression de vraiment entendre le bruit d’un regard insistant. Pourtant, force est de reconnaître que ce n’est, en toute objectivité, pas du tout une réalité acoustique. Alors comment éveiller la perception intuitive du lecteur français ? Comment lui faire entendre la même chose, en un seul coup d’œil et avec la même subtilité et la même légèreté ?

          En effet, même, intuitivement, si elle semble refléter/imiter un son naturel, l’onomatopée n’est qu’un symbole, une étiquette linguistique qui diffère d’une langue à l’autre, tout comme diffèrent les mots et les grammaires, même si certaines onomatopées ont parfois un drôle d’air de famille, du japonais au français. (Pour les plus acharnés en matière de linguistique, c’est un fait très bien décrit par Edward Sapir, notamment dans l’introduction de son ouvrage Le Langage, introduction à l’étude de la parole.) Bref, l’onomatopée DOIT être traduite. Et comme pour toute traduction, cela implique des choix, des compromis et une cohérence.

          Face à ces constats, chaque traducteur de manga/bd a ses solutions (ou pas) et sa philosophie. Il en va de même pour les éditeurs, les adaptateurs et les lecteurs, qui ont chacun leurs préférences. Mais à ce jour, il n’existe pas de référent. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Une bonne, car cela cultive la recherche, l’expérimentation et la créativité (vitale pour ce sujet). Une mauvaise, car la situation actuelle génère encore trop d’impasses/échecs et s’assoit sur un manque de maîtrise du sujet. Reste à se relever les manches et à creuser le sujet, qui mérite qu’une vraie réflexion soit menée.

  6. Perso je préfère qu’on laisse les onomatopées d’origine avec une petite traduction hors cases parce qu’en les traduisant sur l’image, on modifie forcément celle-ci… Ce qui est une forme d’irrespect envers l’auteur à mon avis. Mais encre fois, ça peut être nuancé selon le cas, l’exemple du gag est pas mal.

  7. Equipe de droit pour moi aussi :) Avec cependant des nuances. Je suis partisane du cas pas cas. L’onomatopée discrète ne représentant aucun intérêt graphique peut être directement retouché en revanche celle qui fait partie intégrante de la case comme dans l’exemple de Kenshin ne doit pas être retouché, cela n’aurais pas de sens. En revanche je suis pour une traduction systématique et pas dans la marge, à même la case pour qu’on puisse percevoir le sens d’un coup d’œil quitte à dénaturer un peu le travail du mangaka. Un manga doit se lire vite. Le traduction dans la marge cassent le rythme de lecture et cela dénature aussi le travail de l’auteur qui veut par ces onomatopée créer une certaine dynamique. Il n’y a pas de solution idéale. « Traduire c’est trahir ». La traduction d’un bande dessiné encore plus puisque l’adaptation rentre en jeu.
    Le cas des traduction des onomatopées inexistante en langue française mentionné dans le dernier commentaire de Blackstudio est particulièrement intéressant.

    Pour ce qui est du film en VOST ou doublé, je suis partisane du VO même pour les langues que je ne maîtrise pas, exactement pour les mêmes raisons. La voix fait partie intégrante du jeu d’acteur et je préfère perdre la subtilité du dialogue que dénature le jeu d’acteur. D’autant plus qu’on perd la même subtilité dans un film doublé car il est… traduit !

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