A silent voice : la surdité a la parole

On le sait, les éditions Kodansha n’hésitent pas à lancer des mangakas débutants dans le Shonen Mag, que ce soit à travers le magazine principal ou son hors série. L’exemple le plus frappant de ces dernières années est bien évidemment L’attaquant des titans, manga de Hajime Isayama qui a pris une dimension inespérée. Et c’est peu dire qu’affirmer qu’ils ont également misé sur le bon poulain avec Yoshitoki Oima. Avant A silent voice, dont je vais parler dans cet article, la seule véritable expérience de mangaka de la jeune femme se cantonnait à l’adaptation d’un light novel très sombre nommé Mardock Scramble.

Mais revenons sur A silent voice. A l’origine il s’agit d’un one shot d’une soixantaine de pages. Publié dans le Bessatsu Shonen Mag en 2011. Il remporte un concours de popularité le plaçant devant des mangas comme L’attaque des titans et Aku no Hana. C’est à partir 2013 que le one shot est sérialisé dans le Shonen Mag. Depuis c’est le succès pour Yoshitoki Oima, de nombreux prix et nominations à la clef. A peine terminé en 7 tomes au Japon, voici que A silent voice débarque en France aux éditions Ki-oon.

A silent voice critique

Shoya est un gosse qui s’ennuie. Et comme tout gosse qui s’ennuie, il fait les 400 coups avec ses copains. Tests de courage, bagarres, et j’en passe. Son quotidien devient encore plus insipide lorsque ses amis abandonnent les conneries pour se consacrer entre autres à leurs devoirs. C’est qu’ils entrent bientôt au collège les bougres. C’est à ce moment précis qu’une nouvelle élève arrive en classe. Elle se prénomme Shoko et a la particularité d’être malentendante. Le handicap de la petite va bien évidemment attiser la curiosité de Shoya. Il va tester sa surdité et, avec le reste de la classe, brimer la jeune fille. Jusqu’à ce qu’il aille trop loin.

C’est dans ce contexte que débute A silence voice, et dès les premières pages on se doute bien qu’il changera. En effet, on y voit Shoya retrouver Shoko alors qu’ils sont lycéens et, suite à ça, leur enfance est racontée astucieusement sous forme d’un long flashback.

a silent voice shoko

En France, on a déjà eu des mangas sur le handicap et ce dans différents genres : de Limited lovers à Real, en passant par La chenille. Les mangas traitant de la surdité sont déjà plus rares. On retient principalement L’orchestre des doigts, un manga touchant et historique sur un prof confronté à des élèves handicapés au début du vingtième siècle. Outre Real et le handi-basket, Takehiko Inoue parle de surdité dans Vagabond. En effet, le mangaka a fait de l’un des deux héros un samouraï sourd et muet. Tout cela pour dire que oui le handicap, et celui-ci en particulier, a déjà été traité, de fort belle manière qui plus est, dans le manga. Mais les œuvres sur le sujet restent rares.

Et puis c’est sans compter que A silent voice évoque le thème de manière différente. Dans le premier volume du moins, on parle de handicap à travers les brimades que subit la jeune Shoko. Mais ce qui est intéressant d’un point de vue narratif est que le personnage principal soit le poseur de problèmes. D’un côté on ne peut pas être en accord avec ses actes, et de l’autre il est si bien écrit par Yoshitoki Oima qu’on ne peut pas totalement lui en vouloir. On le prend même en pitié.

koe no katachi critique

Outre une certaine prise de conscience que l’on savait déjà tous plus ou moins, le manga de Yoshitoki Oima éveille en nous diverses émotions. Comment ne pas être touché par cette gamine qui, même moquée et violentée, continue à faire des efforts pour s’adapter aux autres ? On peut également se reconnaître dans Shoya, petit casse-cou de service qui s’ennuie ferme. Même les personnages secondaires sont bien écrits et peuvent nous interpeller au détour d’une case. Je pense notamment à la mère de Shoya ou même à son professeur.

Pour revenir de manière plus objective à la série, il faut reconnaître qu’elle est assez bien racontée. On se fond tellement bien dans le flashback qu’on en oublie que c’est un flashback. De plus, et ce malgré l’aspect tranche de vie du manga, l’histoire est assez dynamique, ce qui donne toujours envie d’en lire plus. Et puis l’intégration de Shoko, qui communique grâce à son cahier est une bonne idée très bien exploitée. Bref, pas grand chose à dire de négatif là dessus. Néanmoins, toujours du point de narratif uniquement, le manga est tout sauf révolutionnaire. Il y a certes des effets de style réussis, mais la globalité reste très classique dans son traitement.koe no katachi visual novel On n’est pas dans un Bonne nuit Punpun par exemple.

Ce qui rebutera certainement quelques lecteurs, c’est le graphisme de A silent voice. Les personnages sont exagérément mignons, et ont chacun un design particulier. On y accroche ou non, mais au moins c’est efficace : on n’a aucun problème à les différencier. Mais ce qui fait le sel du graphisme, c’est l’utilisation des trames qu’effectue Yoshitoki Oima. Notamment celles des personnages. Le contour des différents protagonistes est très noir, très marqué, ce qui donne l’impression qu’ils ne s’intègrent pas au décor. Par exemple, il n’y a qu’à regarder les différentes couvertures du manga. On y voit les deux personnages principaux sur des arrières-plans lambdas. On pourrait très bien garder les dessins des personnages et changer complètement les décors qu’on y verrait que du feu. Les personnages ont été dessinés pour s’intégrer partout, et non dans un seul décor. C’est assez troublant au début, c’est selon moi dû aux contours épais de nos héros et surtout je trouve que ça a son charme. En effet, ça rappelle le graphisme de certains visual novels. On n’est pas habitué à voir une telle utilisation de trames en manga.


En définitive A silent voice est un manga plus malin et atypique qu’il n’y paraît. Touchante, émouvante, sans jamais en faire trop, il ne fait aucun doute que l’œuvre de Yoshitoki Oima est l’une des principales attractions de ce début d’année. Lisez-le pour ce qu’il est vraiment, c’est à dire une série forte mais sans prétention. Et je me permets de vous donner un petit conseil : n’oubliez pas le nom de son auteure.

Je vous quitte avec un extrait mis en ligne par les éditions Ki-oon ainsi que le trailer japonais du manga :

5 réflexions sur “A silent voice : la surdité a la parole

  1. Je suis d’accord avec ton analyse. Ayant travaillé dans le monde des sourds, j’espère que certaines problématiques seront étudiées, surtout qu’on les touche du doigt dans ce premier tome. J’ai hate de voir ce que va donner la suite, en espérant que ça ne tombe pas dans le niant-niant.

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