Incandescence : Les battements d’ailes du papillon

Un retour incroyable d’Ayako Noda chez nous, après Le monde selon Uchu sorti chez Casterman en 2016, oeuvre dans laquelle elle brisait avec talent le 4e mur en faisant évoluer ses personnages au sein même d’un manga. L’autrice nous rend avide, tant l’envie de découvrir ses oeuvres est forte. Son répertoire est varié, elle publie également du boy’s love sous le nom de plume Niboshiko Arai. Certaines de ses oeuvres inédites chez nous ont déjà largement capté notre attention, avec l’espoir de les voir, elles aussi, éditées bientôt en français.

Incandescence, ou Sennetsu de son titre original, a d’abord été prépublié au Japon dès 2015 dans le magazine Hibana de Shôgakukan, avant de basculer ensuite, quand ce dernier a cessé de paraître, sur le Ura Sunday Jiyoshibu et l’application Manga One. Il a continué sa prépublication jusqu’en 2018. Arrivé chez nous grâce aux éditions Le Lézard Noir l’année dernière, son troisième et dernier tome s’est dévoilé ce 18 février. 

On suit page après page les émois de Ruri, dès lors qu’elle rencontre Nosegawa, un yakuza bien plus âgé qu’elle. Chaque jour, à la supérette dans laquelle l’étudiante travaille, il vient chercher deux paquets de cigarettes 6mg. Elle ne peut s’empêcher de trouver ses mains, grandes et fines, si belles qu’elles la fascinent. Ce jour de pluie où Ruri a oublié son parapluie, elle franchit le pas, ce fossé qui les sépare en deux mondes distincts qui ne devraient jamais se rencontrer.

« Avant la fac, j’ai passé toute ma scolarité dans des écoles non mixtes. J’ai toujours été entourées de filles, de femmes ou de vieux. Personne n’était violent. Je n’avais encore jamais vu quelqu’un se comporter comme ça. »

Ruri se sent irrémédiablement attirée par cet homme forcément dangereux. Pour elle, c’est comme une évidence. Qu’il puisse être violent, menteur ou manipulateur, Ruri s’en fout. Les émotions qui la submergent dès l’instant où son regard croisera le sien vont sans cesse évoluer, se transformer, tourbillonner, sans jamais lui laisser un seul moment de répit.

Envers et contre tout, Ruri s’en fout. Une gamine peut-être, ou pas, avec ses longs cheveux noirs, raides, qui entourent ses yeux immenses dans lesquels baignent mille émotions. Tout le monde veut la protéger, chevaliers blancs en armure, marchant dans chacun de ses pas et guettant sa chute pour mieux la relever.

« Quoi que je dise, tu m’écoutes jamais. »

Mais Ruri s’en fout. Elle est sortie de son cocon, aveuglée et fascinée par cette lumière incandescente. Et si elle se brûle, tant pis. Ruri n’a pas peur du feu, elle fonce droit dessus, droit devant. Ruri s’émancipe, Ruri grandit. Ruri est un papillon magnifique, elle en portera même le nom le temps d’un chapitre, qui apprend à voler et n’hésite pas à s’élancer.

Incandescence, c’est avant tout une histoire d’émotions. Ruri a de grands yeux, au plus profond desquels on se perd. Le trait d’Ayako Noda est incroyable d’expressivité. On vit, on ressent avec Ruri, au gré des superbes découpages qui nous font naviguer sur les pages crayonnées. On a mal avec elle, on pleure, on a honte et parfois on rit. On sent lorsqu’elle vacille, lorsqu’elle se sent glisser, lorsqu’elle veut glisser, parce qu’après tout, elle fait ce qu’elle veut. L’habit de candeur qu’elle porte se morcelle peu à peu et Ruri se transforme, tout son désir latent ne demandant qu’à sortir, s’exprimer, crier. On suit ses pas, sous le coup de ses impulsions qui guident le récit et la fait avancer, traçant sa propre route, en laissant les autres sur le bas-côté. A nous ensuite de décider de la suivre ou pas.

L’autrice nous tient en haleine jusqu’au dernier chapitre, en une conclusion parfaite. L’oeuvre était une des plus belles découvertes de l’année dernière et ce dernier tome vient le confirmer. C’est un petit joyau que Ayako Noda nous a laissé, là, dans son écrin, attendant que chacun puisse s’en emparer, parce que chacun le devrait. L’oeuvre ne satisfera probablement pas tout le monde. Certains y verront une jeune fille sous emprise, naïve, qu’ils auront observée de loin, englués dans leurs représentations et leur morale paternaliste. Ceux-là resteront sur le bord de la route et n’auront pas profité réellement du voyage. J’y ai trouvé de la force bien plus que de l’ingénuité. J’ai aimé Ruri, fascinante et fascinée, et je remercie profondément l’autrice de m’avoir permise de la rencontrer.

Notre plaisir de lire Ayako Noda étant sans faim, je peux d’ores et déjà annoncer avec l’accord de l’éditeur la sortie prochaine de Double, que l’on retrouvera aux éditions Le Lézard Noir probablement avant la fin de l’année. Le titre, qui a reçu un Prix d’Excellence lors du 23e Japan Media Arts Festival en 2020, suit l’histoire de Yûjin, envieux et admiratif du talent d’acteur de son ami Takara. A eux deux, ils rêvent de devenir « le meilleur acteur du monde ».

6 réflexions sur “Incandescence : Les battements d’ailes du papillon

  1. Bravo pour ton article Lili !

    J’avais adoré découvrir Le monde selon Uchu à l’époque, et j’avais un peu peur de l’évolution de l’autrice. Dur dur de passer après un tel manga, et qu’aurait-elle à proposer après avoir si bien traité d’un sujet aussi original que le fait de briser le 4e mur ? Que vaudraient ses mangas plus classiques ?… Et bien je dois dire que je suis tout sauf déçu, elle frappe très fort, comme tu le décris si bien. J’ai très hâte de découvrir Double à présent !

    • Merci beaucoup, Joan. :) J’ai hâte de découvrir Double aussi! Je pense qu’il sera tout aussi fascinant. C’est vraiment une autrice incroyable, je suis très heureuse qu’elle continue à être éditée chez nous.

  2. Oh mon dieu j’ai rarement autant regretté d »avoir mis un (triple) achat en attente, j’ai envie de le lire immédiatement maintenant T_T
    En ce moment je loupe à peu près tout, articles, twitter, annonces de licences, tournois MN… je suis bien contente de pas être passée à côté de ton article, il est superbe <3

    • Merci Allia! Je suis contente que ça t’ait plus. Franchement, fonce (si tu peux), je pense que tu ne le regretteras pas. On a eu pas mal de belles annonces de licences ces dernières semaines, il faut absolument te mettre à jour, je pense que ta liste d’achat va s’allonger. ^^

  3. Pingback: Throwback Thursday #2021-36 – Les Blablas de Tachan

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