14, année eroguro : L’enfer en bouteille x New National Kid

Suite à la sortie de DDT en novembre dernier, deux nouveaux recueils de Suehiro Maruo ont été publiés en France en ce début d’année. L’enfer en bouteille, le premier, est paru chez Sakka. Ensuite est venu le temps de New National Kid chez Le lézard noir, éditeur emblématique du mangaka en France. C’est donc dans l’ordre de parution française que je vais effectuer mes critiques.

enfer en bouteille

L’enfer en bouteille est donc un recueil récent de Suehiro Maruo. Il est composé de 4 histoires publiées entre 2010 et 2012 dans le Comic Beam. Pour situer le Comic Beam, on est bien loin des magazines pornographiques dans lesquelles l’auteur a débuté. Il s’agit d’un mensuel proposant une alternative à la production mainstream de la bande dessinée japonaise, mais ce n’est pas pour autant un magazine underground. Parmi quelques séries issues du Comic Beam connues en France, on retrouve Emma, Soil ou encore Thermae Romae. L’île panorama et La chenille, les deux adaptations de récit d’Edogawa Ranpo par Suehiro Maruo ont elles aussi étaient publiées dans le Comic Beam. Voilà pour le contexte, il me semblait essentiel de mettre tout cela au clair pour expliquer mon ressenti à la lecture de l’ouvrage.

La nouvelle qui ouvre le recueil est la plus récente : L’enfer en bouteille (publiée de mars à juin 2012). Il s’agit d’une adaptation d’une œuvre de Yumeno Kyusaku, écrivain connu en France pour Dogra Magra et dont Suehiro Maruo faisait déjà référence dans le titre d’un de ses recueils : Yume no Q-saku. L’histoire parle de deux naufragés, frère et sœur, sur île qui vont sombrer peu à peu dans une sorte de folie primitive. Cette nouvelle est surtout servie par une narration à nous rendre nous-même dingues. Tellement que Suehiro Maruo en personne dénote une incohérence dans l’œuvre d’origine.

enfer en bouteille 1

Préférant faire part de mon avis global, je ne vais pas entrer plus dans les détails de L’enfer en bouteille ou des autres histoires contenues dans le recueil. Une fois le livre clôt, je dois bien avouer que je fus envahi par un sentiment de déception. J’ai effectivement trouvé que Suehiro Maruo n’allait pas assez loin dans le macabre et la perversion. Ce n’est pas une première, car ce constat pouvait déjà se faire sur La chenille, que le plus exigeant des lecteurs ne trouvera pas assez aboutie, et sur L’île panorama, un thriller utopique dont le fond ne se prêtait pas au jeu de l’eroguro. L’enfer en bouteille, quant à lui, aurait gagné d’aller plus loin dans l’explicitation du malsain. Les histoires les plus licencieuses parlent d’une fille se prostituant pour venir en aide à son frère handicapé ou de jeunes prêts à tout pour l’argent et la reconnaissance. Les amateurs de Suehiro Maruo seront sûrement un peu déçus du manque de cruauté, là où les novices pourront trouver satisfaction.

Car oui, il est possible de trouver son bonheur dans L’enfer en bouteille. Malgré la déception, c’est du Suehiro Maruo et donc, par extension, c’est un excellent recueil. Etre dérangé de ne pas être assez dérangé est un comble, et l’intérêt du bouquin ne s’arrête bien évidemment pas à ce fait. Il regorge de qualités aussi bien narratives que graphiques (même si certaines cases sont ratées). D’un point de vue personnel, je considère L’enfer en bouteille comme le moins bon ouvrage de Suehiro Maruo publié en France, mais, de part son accessibilité, je le conseille à tous les gens souhaitant connaître le travail de l’auteur. Et pour les fans du maître, la question ne se pose même pas : ce n’est peut-être pas ce que Suehiro Maruo a écrit de mieux, mais ça reste un bouquin immanquable.

new national kid

Passons maintenant à la période la plus faste de Suehiro Maruo, la seconde moitié des années 80. New National Kid regroupe 18 histoires publiées entre 1984 et 1989. Autant vous l’avouer de suite, ce recueil comporte plusieurs perles.

Tant le contenu est dense et varié, il est bien évident que je ne vais pas revenir sur tout. Bien moins glauque qu’un Yume no Q-saku, New National Kid regroupe tout ce que Suehiro Maruo a fait de mieux. Le manga est d’une puissance graphique inégalée, alliant parfaitement une ambiance typiquement japonaise à des figures iconiques du Troisième Reich. Et ces dessins-là sont mis en valeur par des situations toujours plus ingénieuses, toujours plus grotesques. A moins que ce soit les dessins qui mettent en valeur les situations. On ne sait pas et on ne veut pas savoir. Tout ce qui compte dans New National Kid est que Suehiro Maruo nous époustoufle à chaque case par son talent. Assurément, on ne ressort pas indemne de la lecture. Tout ce qui manquait à L’enfer en bouteille est présent dans cet ouvrage.

Parmi les histoires présentes dans cet album, deux ont particulièrement retenu mon attention et font, à mes yeux, parties de ce que Suehiro Maruo a écrit de mieux. La première se nomme Le somnambule. Il s’agit d’une histoire macabre faisant écho aux films expressionnistes allemands du début du siècle dernier. La seconde est Planet of the jap, une réécriture de la seconde guerre mondiale où les japonais prennent le dessus sur l’armée américaine. Je ne vous en dis pas plus, mais rarement un récit ne m’aura pas autant pris aux tripes…

new national kid somnambule

Vous l’aurez compris, New National Kid m’a pleinement convaincu. Plus accessible que La jeune fille aux camélias et Yume no Q-saku (qui sont mes deux ouvrages préférés de Suehiro Maruo), mais néanmoins pas moins puissant, je le recommande très chaudement à toutes les personnes déjà satisfaites par le travail de l’auteur et également à tous les amoureux de BD de manière générale qui souhaitent découvrir un pan de l’imaginaire horrifique japonais. Je n’ai qu’une chose à dire : Soyez curieux et lisez New National Kid.

Un mot sur les éditions. Là où Sakka a rendu une copie dans la sobriété, Le lézard noir nous gratifie d’un livre de toute beauté, doté notamment d’une reliure qui frise la perfection. New National Kid est assurément un bel objet. Comme d’ordinaire avec les mangas de Suehiro Maruo, les deux traductions sont assurées de main de maître par Miyako Slocombe. On trouve un texte de Jean Giraud datant de 1991 en préface de L’enfer en bouteille, tandis que Romain Slocombe a assuré celle de New National Kid. Autant dire que tout ceci est très intéressant.

Le prochain Suehiro Maruo à paraitre en France devrait être La Monstruosité en rose chez Le lézard noir.

Le mangaka était présent au festival international de la bande dessiné à Angoulême. A cette occasion il m’a signé les deux ouvrages chroniqués ci-dessus. Par contre, difficile de lui faire décrocher un mot ou même un regard. Mais ce n’est pas important, voici les dédicaces :

dédicace maruo

3 réflexions sur “14, année eroguro : L’enfer en bouteille x New National Kid

  1. Entièrement d’accord avec toi concernant l’enfer en bouteille: décevant. Mais en effet ça reste du Maruo, passer à coté serait dommage. En attente de new national kid, le distributeur se fait désirer…

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