Kids on the slope : s’ouvrir au monde

Débutée en 2007 dans les pages de la revue mensuelle Flowers, Kids on the slope est la première série de Yuki Kodama, auteure jusque-là cantonnée à des histoires courtes. Succès d’estime dont la reconnaissance arrive en 2012, soit l’année de la fin de sa publication, grâce au gain du Prix Shogakukan et a une adaptation en série d’animation réalisée par Shin’ichiro Watanabe.

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Il faut dire que l’œuvre a de quoi marquer les esprits. Brillant par la justesse de ses relations entre les personnages, le thème du jazz dans le Japon de la fin des années 60 et le divin coup de crayon de Yuki Kodama, Kids on the slope regorge de qualités afin d’attiser la passion des lecteurs. Plus finement de par leur traitement, des thématiques d’ordre social ou culturel sont abordées à travers le manga. Elles sont en retrait tant les protagonistes et leurs états d’âme occupent le devant de la scène, quand bien même elles font partie d’eux. Cet article a donc pour objectif de se pencher sur la manière dont l’auteure nous convie à élargir notre horizon et s’enrichir d’autres cultures.

Un manga de jazz

Fait qui n’aura échappé à personne : Kids on the slope parle de jazz. Après avoir suivi une formation classique de piano, Kaoru se tourne vers cette musique dans laquelle le ressenti prime sur la technique au contact de Sentaro. Ensemble, ils passent leur temps libre après les cours à répéter dans le sous-sol du magasin de disques du père de Ritsuko.

Rapidement, la musique prend la forme d’un moyen d’expression cathartique. Si les deux amis sont fâchés, ils n’ont qu’à s’asseoir l’un devant son piano et l’autre devant sa batterie et se mettre à jouer. Ainsi, ils libèrent leurs émotions dans l’allégresse et parviennent à se réconcilier sans échanger le moindre mot. Ils se comprennent à travers des sonorités qu’ils prennent plaisir à émettre. De plus, Kaoru s’en sert également pour exprimer ses sentiments. Lorsqu’il se retrouve seul en compagnie de la fille qu’il aime, il lui joue Someday my prince will come dans la version de Bill Evans pour lui faire sa déclaration. Dès lors, on comprend l’importance que revêt le jazz pour les personnages.

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Pour autant, son rôle dans le manga est bien plus large. On rappelle que l’œuvre se déroule au Japon durant la fin des années 60, soit une vingtaine d’années après la seconde guerre mondiale et la capitulation du pays devant les États-Unis. Les protagonistes n’ont donc pas connu le conflit et parviennent de ce fait à s’épanouir dans cette culture américaine sans éprouver de rancœur. Ils appartiennent à une génération sous influence d’un autre pays et vont s’enrichir de leur musique plutôt que la rejeter.

C’est dans ce contexte que nos personnages principaux se produisent au sein d’un bar fréquenté par la marine américaine. Alors qu’ils mènent leur concert en prenant du plaisir, un client saoul les interrompt en tenant des propos racistes sur la musique noire et leur demande de jouer un « jazz de blancs ». Si Sentaro, excédé de colère, quitte la scène, Kaoru accompagne Junichi en duo sur But not for me de Chet Baker. En apaisant ainsi la salle, l’auteure nous montre la diversité du jazz et ses sonorités multiples.

Du Christ à Marx

Si le jazz est un symbole d’ouverture qui rythme l’histoire de Yuki Kodama, d’autres thématiques abordées nous montrent un Japon enrichi de cultures étrangères. Deux sujets ressortent alors avec fracas de Kids on the slope : la religion et la politique.

kids on the slope religion

Tout comme le lecteur, Kaoru sera surpris d’apercevoir Sentaro, dont il avait l’image d’un cancre et bagarreur, prier à l’église catholique. En approfondissant le passé du mauvais garçon, on comprend mieux son rapport à la religion, le prêtre l’ayant accueilli comme une deuxième famille un fameux 25 décembre. Par ailleurs, le seul souvenir qu’il conserve de sa mère est un rosaire et c’est sans doute cela qui le rapproche le plus de Dieu. Il a sa façon bien à lui de concevoir la religion : plutôt que suivre les normes occidentales, il la fait sienne. Cela est justement explicité par son rosaire qu’il porte constamment autour du cou alors que son utilisation est censée être limitée à la récitation des prières.

Il est alors utile de rappeler que le christianisme est une religion européenne qui n’a été introduite au Japon qu’à partir de la seconde moitié du seizième siècle. Loin d’être un culte dominant sur l’archipel à l’époque du manga (et même de nos jours), Yuki Kodama en retient tout particulièrement la valeur d’aimer son prochain. Mais ce qui est également intéressant de noter est que l’auteure porte une nouvelle fois un regard vers le monde extérieur.

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Comme pour le jazz et le christianisme, un message politique prônant l’ouverture est clamé dans Kids on the slope. Durant la fin des années 60, d’importantes révoltes étudiantes ont retenti dans le Japon. Si Kaoru, Sentaro et Ritsuko sont trop jeunes pour y participer, Junichi s’y trouve mêlé. Ses camarades délaissent le jazz pour lire Karl Marx, lui-même se découvre un don pour l’agitprop, démarche de propagande venant de l’URSS. En somme, la jeunesse se révolte contre le traditionalisme dépassé des institutions en place en puisant ses inspirations dans les mouvements politiques étrangers. Avec le recul qu’elle a, l’auteure a conscience que cette période constitue un pas en avant dans la société japonaise. Qu’elle confie que cette avancée a été influencée par des modèles occidentaux en dit long sur le message d’ouverture qu’elle véhicule.

Sentaro, symbole du mélange

Kids on the slope est l’histoire d’une belle amitié entre deux jeunes hommes. Pour autant, le protagoniste désigné du récit est Kaoru, la quasi-intégralité des actions étant perçue à travers ses yeux. S’il est le personnage par lequel on regarde le manga, alors on peut dire que Sentaro en est son essence.

En effet, son compagnon symbolise l’âme de Kids on the slope de par son caractère mais aussi et surtout son vécu. Se tournant vers des cultures musicales et religieuses étrangères, il éprouve cependant un profond rejet lorsqu’il voit un soldat américain embrasser une japonaise en pleine rue. Cette répulsion provient de son enfance, durant laquelle il a été mis à l’écart à cause de son métissage. D’un côté, il ne s’est jamais senti à sa place au sein de sa famille. Sa grand-mère lui reprochant le fait que sa mère ait fricoté avec des soldats américains, son père (adoptif donc) ayant fui la demeure familiale, il considère son existence comme un poids. D’un autre côté, ce n’est guère mieux à l’école où il est victimisé car il ne ressemble pas aux autres. En somme, il subit le racisme d’une société japonaise ne parvenant pas à s’ouvrir au monde.

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Et pourtant il découvre dès le début du manga une personne qui le comprend et l’accepte, en la présence de Kaoru. Tout semblait opposer ce dernier à Sentaro, mais ils se sont très vite rapprochés. Sous l’influence du métis, le pianiste à la formation classique s’est pris de passion pour la musique jazz. Autrement dit, il s’est épanoui en entrant dans son univers. En définitive, si les thématiques sociales et culturelles rencontrées durant la lecture nous rappellent le bienfait de ne pas rester centré sur soi-même, cette ouverture d’esprit trouve également un retentissant écho dans la belle amitié qui rythme Kids on the slope.


Informations complémentaires

kids on the slope tome 1En France, le manga est publié en 9 tomes chez Kaze d’après une traduction de Ryoko Sekiguchi et une adaptation de Patrick Honoré.

Un tome 10 intitulé Bonus Track (contenant l’épilogue) et un fanbook sont sortis au Japon mais n’ont jamais été publiés par l’éditeur français.

Sakamichi no Apollon © 2008 Yuki Kodama / Shogakukan Inc.

2 réflexions sur “Kids on the slope : s’ouvrir au monde

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