Tokyo Alien Bros : rencontre avec le manga du troisième type

On est actuellement sur un catalogue éditeur 2017 qui est en train de me faire jubiler. Après l’épilogue de Chiisakobé, La Cantine de Minuit, Tokyo Kaido 1, voici le premier opus de la saga tokyoïte en trois volumes de Keigo Shinzo, qui, je l’espère bien, va faire un carton et que je vais me faire une joie de vous chroniquer un peu.

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Attraction extraterrestre

Tanaka Fuyunosuke est un jeune garçon charismatique qui vit dans un petit nid coquet entouré de ses animaux.

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D’approche conviviale, le blondinet fait craquer tout le monde, animaux, camarades de fac, adultes du quartier… partout où il passe, son comportement à la fois vif et décontracté, son côté charmeur, emporte l’adhésion avec une facilité telle qu’il semble doté d’un pouvoir d’attraction quasi surnaturel.

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Après qu’on ait compris que tout le monde lui mange dans la main, une séquence d’anthologie va d’ailleurs mettre en évidence sa capacité à subjuguer sa cible. Il serait criminel de vous révéler comment au juste va se dérouler cette saine activité de jeunes gens consentants, mais c’est à ce moment-là que la situation initiale, déjà bien azotée, va ouvrir la porte à l’élément perturbateur. J’avais rarement vu une exposition se finir ainsi. Et c’est clairement ce qui va faire tout le charme de ce seinen : d’emblée on comprend qu’on sera surpris et qu’on va bien se marrer.

Le Soleil avait rendez-vous avec la Lune

Plus bougon, plus âpre, plus alien dans l’âme, plus concerné par sa mission, plus utilitariste, Natsutarô, tel le provincial débarqué à la ville, vient de débarquer sur Terre avec la ferme intention de secouer les puces à Fuyunosuke, qui donne des nouvelles à la base alien aussi souvent que j’en donne à ma tante, c’est-à-dire jamais.

Il va squatter chez Fuyunosuke, le suivre dans son quotidien et participer à ses petits jobs d’étudiant pour un temps indéterminé. Comme il est totalement déphasé, le ressort humoristique fonctionne à merveille : comique de caractère, comique de situation, comique de geste, le décalé Natsutarô permet tout.

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Mais parfois ce comique se débusque dans de petits détails plus discrets, que le lecteur va découvrir en scrutant avec attention chaque élément de la planche (je pense notamment à la composition d’un apéro alien, mais aussi à toute la palette gastronomique des deux frères en général).

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Le blond et le brun, le solaire et le lunaire, le décontracté et le tendu, l’optimiste et le pessimiste, l’habile et le maladroit, le social et le bourru, autant d’oppositions dans la caractérisation des deux frères, qui ne manque pas de sel….

Le quotidien de Funuyosuke a l’air bien cadré, au point qu’on pourrait penser qu’il se laisse vivre sans trop penser à sa mission. Sa pire difficulté, par conséquent, va consister à  apprendre à vivre avec Natsutarô dans les pattes et à faire en sorte que celui-ci réussisse son intégration. Même s’il affiche faire cela de bonne grâce, il n’a pour autant pas la présence d’esprit de lui prêter des fringues correctes. C’est ainsi  que sur la couverture vous constatez que Natsutarô se promène dans la rue … en peignoir. Fuyunosuke semble  davantage prêt à assumer le regard ébahi des terriens plutôt que de penser qu’il pourrait lui prêter un jean et un tee-shirt pour respecter des codes dont lui-même est plutôt friand…

Pour autant, c’est bel et bien de lui que vient la sympathique idée (même si elle n’est pas totalement désintéressée), d’amener Natsutarô faire un tour du monde (le plus rapide de toute la galaxie). Natsutarô, il faut bien l’admettre, avait besoin grandement d’un bol d’air, d’une vue d’ensemble aussi, pour se débarrasser de ses ressentiments et de ses peurs.TAB3

On se rend compte qu’en dépit de son rôle de rabat joie et de balourd de service, Natsutarô n’est pas exempt de douceur, de bon sens ou d’esprit d’analyse. C’est sa vision des terriens qui, quelque part, est la plus lucide, par moment. Elle peut faire écho à la notre, d’ailleurs. Ses relations interpersonnelles sont compliquées dès lors qu’il est face aux gens, mais derrière un écran d’ordinateur, il a l’air d’avoir des facilités…Totalement hermétique aux choses de l’amour, il est davantage porté sur la gestion de l’environnement, des ressources. Il sent d’emblée le potentiel de la Terre et râle sur le consumérisme qui lui pique les yeux à Ikebukuro.

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Deux frères, deux démarches d’apprentissage

Fuyunosuke, qui semble si dégourdi et parfaitement intégré à la vie terrienne, qu’il trouve marrante et stimulante, met à profit tout ce que la société humaine peut lui offrir. De prime abord, semble avoir privilégié la voie iconoclaste, le « ici et maintenant » et il nage comme un poisson dans l’eau dans les codes de la superficialité sociale assez répandue en milieu urbain. C’est un peu le cliché du cool guy, de l’étudiant qui papillonne sans vergogne parce que de toute façon « il assure ». L’attraction qu’il suscite est généralement initiale et unilatérale. Il donne souvent l’impression d’y aller au talent, cependant il n’est pas dans l’improvisation pour tout. En effet, on comprend vite que pour explorer un champ ciblé du comportement humain, il va être dans une démarche déductive. Partant de l’hypothèse, il va ensuite mettre en application. Sa base théorique est acquise par ses lectures, donc se pose le problème évident de la pertinence de sa source (google n’est pas toujours votre ami). En outre, se pose celui de son propre habitus. Ce qui lui parait naturel et normal lui vaut parfois des déconvenues (ou comment se prendre l’empirisme dans la gueule), sans compter les imprévus qui peuvent compromettre sa couverture.

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Natsutarô, lui, est plus inductif. Parce qu’il a le rôle de l’observateur décalé. Et qu’il débarque. Il n’a pas une approche de consommateur de l’information pour savoir comment se comporter. Il l’apprend (à ses dépends) sur le terrain. Il réserve l’approche théorique à ce qu’il connait le mieux et un bon geek sommeille en lui, pour le coup, vous le verrez. Il ne bénéficie pas de l’attractivité qu’à son frère, il suscitera volontiers la méfiance des jeunes camarades de son frangin, par exemple. En revanche, de parfaits inconnus vont créer avec lui une sorte d’affinité. Il attire le don, ce qui est tout à fait intéressant.

Stalkant son frère dans son quotidien d’étudiant, il est à peu près aussi discret qu’un pervers dans un parc d’attraction et ça fleure déjà bon la catastrophe.

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Pour autant, il montre à moment donné qu’il est capable de plus d’empathie que son frère. Il épouse le rôle de celui qui pousse au train pour que leur présence de tête de pont alien sur terre débouche sur quelque chose, notamment la recherche de ressources avérées, mais au fond, et ce en dépit de sa maladresse incroyable, à la limite du boulet, il laisse entrevoir une approche bien différente, qui pourrait être motivée par un profond respect pour la vie.

Pour conclure

Keigo Shinzo nous propose ainsi pour notre plus grand bonheur de lecteur un premier volume maîtrisé, qui nous laisse énormément d’attentes, et il a posé avec beaucoup de finesse et d’humour la notion de relations interpersonnelles. Via le parcours de ces deux frères à la démarche et à la mentalité totalement différentes, il dresse un portrait de la société humaine à la fois sensible et drôle, lucide et décalé.

J’espère que vous n’hésiterez pas à aller découvrir les aventures des Bros !

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Crédits :

En France, le manga est publié aux éditions Le Lézard Noir, d’après une traduction du japonais de Aurélien Estager.

Tokyo Alien Bros. © Keigo Shinzo / Shogakukan

9 réflexions sur “Tokyo Alien Bros : rencontre avec le manga du troisième type

  1. Curieux de savoir comment les screens du manga ont été pris ? Est-ce que des pages ont souffert pour le bien de cet article ?

    En tout cas joli article, tu m’as convaincu, je vais voir si je peux me le procurer :3.

  2. Merci à tous !
    Si l’article vous a donné envie de découvrir ce premier volume de la saga des deux frères aliens, alors je suis contente :)
    J’espère sincèrement que cette lecture vous plaira autant qu’à moi. J’attends la suite avec beaucoup d’impatience, d’ailleurs, car la fin de ce premier volume est particulièrement prometteuse, haha !

    @Poyjo, les screens sont pour une très large partie issus du pdf du manga. Les pages de mon volume personnel n’ont donc pas souffert pour cet article ^^

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