Interview de Mari Yamazaki et Tori Miki autour du manga Pline

Ne leur dites surtout pas que l’un est dessinateur et l’autre scénariste. Mari Yamazaki et Miki Tori se considèrent tous deux comme auteurs d’un manga à quatre mains : Pline. C’est pour en savoir davantage sur cette collaboration artistique unique que nous avons rencontré le duo fasciné par la Rome antique. L’interview a été réalisée au FIBD, à Angoulême, en 2017. Les photos des documents sont prises par Benjamin, qui m’a aussi aidé pour l’interview, et Wladimir Labaere s’est occupé de la traduction.

En 2010 Mari Yamazaki avait remporté le Prix Culturel Osamu Tezuka dans la catégorie histoire courte avec son excellent manga Thermae Romae. Cette fois, en 2024, elle reçoit en compagnie de son acolyte Tori Miki le grand prix – c’est-à-dire la récompense suprême – lors du nouveau Prix Culturel Osamu Tezuka pour Pline, leur série complète en 12 tomes.

Pour resituer les mangakas, Mari Yamazaki est avant tout connue pour Thermae Romae, Pline et Olympia Kyklos, des séries publiées en France aux éditions Casterman qui mettent en avant son intérêt pour l’histoire, les voyages et les parallèles entre les différentes cultures. Elle a en outre signé des histoires plus courtes mais tout aussi intéressantes qui abordent les mêmes thèmes comme PIL, Giacomo Foscari et Un simple monde. De plus, elle s’occupe de biopics comme pour Pline par ailleurs. Elle dresse par exemple les portraits d’artistes italiens de la Renaissance dans Gli Artigiani ou encore de Steve Jobs dans le manga du même nom. Elle participe également à l’anthologie Les rêveurs du Louvre aux côtés d’artistes de talent comme Shinichi Sakamoto (Innocent, #DRCL), Daisuke Igarashi (Les enfants de la mer, Designs) et Katsuya Terada (Saiyukiden).

Tori Miki est quant à lui un artiste touche-à-tout que le grand public connaît surtout pour être le scénariste du film d’animation Patlabor 3: WXIII. Il est aussi et surtout une figure importante du manga alternatif, connu principalement pour sa série Intermezzo qui a été publié en France aux éditions IMHO et qui nous prouve toute son inventivité. Découvrons davantage les deux artistes à travers l’interview.

D’où vous vient ce besoin de mélanger les cultures Mari Yamazaki ?

Mari Yamazaki : J’ai quitté le Japon assez jeune, j’avais 14 ans la première fois. Puis à 17 ans je suis partie m’installer en Italie pendant une bonne dizaine d’années. Et donc à partir de l’adolescence j’ai vécu dans beaucoup de pays comme la Syrie, le Portugal… Et dans tous ces pays, je ne me suis pas concentrée à trouver quelles sont leurs différences mais je me suis plutôt amusée à observer les points communs. De cette manière, à ma hauteur, j’ai pu faire tomber certaines barrières, et ce c’est qui m’anime depuis toujours quand je dessine mes mangas.

Comment vous définiriez-vous en tant qu’artiste Tori Miki ?

Tori Miki : C’est très difficile pour moi de dire qui je suis en tant qu’auteur. En fait je fais tellement de choses au Japon, beaucoup trop diront certains, que même là-bas je ne pense pas être connu pour tout ce que je fais. Je ne facilite pas la tâche aux gens qui veulent me connaître car je touche à tout : je fais Pline aujourd’hui, j’ai dessiné Intermezzo, j’ai écrit le scénario d’un Patlabor… C’est peut-être simplement dû au fait que je dessine ce que j’ai envie de dessiner.

Comment s’est déroulée votre rencontre ?

Tori Miki : La première rencontre était assez classique, je ne me souviens pas quand et où, mais ça devait être à la fête d’un éditeur. Et plutôt que dans la vraie vie, on a appris à se connaître via Twitter. On s’est rendu compte en lisant les tweets l’un de l’autre qu’on avait beaucoup de goûts communs en matière de cinéma, de musique…

Mari Yamazaki : Très rapidement, je me suis dit que, vu mon profil d’autrice qui œuvre dans beaucoup de registres et sachant que Tori Miki ne se mettait pas de barrières artistiques, si un jour on travaillait ensemble, ça pourrait donner quelque chose d’intéressant.

Tori Miki : Il y a beaucoup d’auteurs au Japon qui ne peuvent pas collaborer de la manière dont on travaille sur Pline, parce qu’ils sont les seuls capables d’imaginer le monde de leurs œuvres. Alors que nous, étant des auteurs ouverts à toutes sortes de choses, la possibilité d’une collaboration était envisageable dès le départ.

Il n’y a pas un scénariste et un dessinateur, vous êtes tous les deux auteurs. Comment vous répartissez-vous le travail ?

Mari Yamazaki : C’est une collaboration évolutive, mais la manière standard de commencer un chapitre est que j’en rédige le déroulé et je m’en sers de base pour faire un name. Ensuite je l’envoie à Tori Miki qui va le regarder et donner son point de vue. Une fois qu’on est d’accord, je fais le crayonné et puis on se répartit l’encrage. En général, je m’occupe des personnages et Tori Miki se charge des décors.

Tori Miki : Après, c’est très mouvant. Par exemple il y a des animaux que Mari Yamazaki veut à tout prix dessiner, comme les chats ou les chevaux, alors que moi je préfère m’occuper des éléphants et des monstres.

Mari Yamazaki : J’ai un goût pour les dessins de paysages naturels, je déteste ce qui est fait à la règle. Alors je me charge parfois des dessins à main levée de décors comme les arbres ou les montagnes.

Mari Yamazaki et Tori Miki nous montrent sur ordinateur l’avancée de leur travail.

Le name :

Le crayonné :

L’encrage :

Avez-vous des influences artistiques communes afin de donner une cohérence à l’esthétisme de Pline ?

Tori Miki : On a bien évidemment des artistes en commun qu’on admire mais dans le cas de Pline, ce qui rend possible cette unité graphique est que nous avons du respect pour le travail de l’autre. En réalité, il y a des moments où Mari Yamazaki dessine les personnages d’une telle manière et où je ne l’aurais pas fait comme ça. Mais plutôt que dire « non, c’est pas comme ça qu’il faut faire », je me dis qu’il existe aussi cette façon de faire. Je pense que cette relation de respect mutuel et d’écoute fait qu’au fil des mois, une espèce d’avatar unique, comme si on était un seul et même auteur, a vu le jour.

Mari Yamazaki : On a aussi une vraie curiosité sur ce que l’autre va apporter dans le chapitre sur lequel on travaille.

Vous faites un parallèle entre l’éruption du Vésuve et la catastrophe de Fukushima. Cette dernière a-t-elle été un élément déclencheur pour débuter Pline ?

Mari Yamazaki : Oui, je pense que les événements de mars 2011 ont été l’un des déclics qui ont provoqué la mise en chantier de la série Pline. Jusqu’à présent, quand je faisais mes portraits comparés entre le Japon et la Rome antique, c’était à travers les bains. Mais dans Pline, j’ai voulu mettre l’humanité face à sa fragilité en cas de catastrophe naturelle. Japon et Italie sont des terres d’éruptions volcaniques et d’activités sismiques importantes. À chaque tremblement de terre, l’Italie a su se relever. Et lorsque le désastre de Fukushima s’est produit, j’ai voulu dire aux japonais avec Pline : « regardez, dans la Rome antique, ils se sont redressés ».

Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans le personnages de Pline ?

Mari Yamazaki : Dans une certaine mesure, Pline, dans sa soif de savoir est à lui seul un symbole de la capacité de la Rome antique à se nourrir des apports des autres civilisations et c’est ce qui m’a intéressée.

Outre Pline, vous dessinez la biographie de Steve Jobs. En quoi réaliser des biopics vous intéresse-t-il ?

Mari Yamazaki : Ma nature artistique fait que je n’aime pas créer à partir de rien. Je suis une historienne dans l’âme et j’ai besoin de me référer à des sources pour me les réapproprier en manga.


Crédits pour les images :
Pline © 2014 by Mari Yamazaki Tori Miki / Shinchosha

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