Hirohiko Araki et Phantom Blood

Vous connaissez Jojo’s Bizarre Adventure, mais connaissez-vous Hirohiko Araki, son créateur ? C’est l’objet de la première partie de cet article publié à l’origine sous la forme d’un thread sur Twitter. Puis, nous nous plongerons en détail dans la Partie 1 de JoJo’s Bizarre Adventure : Phantom Blood.

L’avant Araki, contexte social japonais

Avant de nous attaquer à la vie d’Araki, un rapide tour d’horizon de la société japonaise, ce qui nous permettra de mieux appréhender l’auteur et par extension, ses œuvres. Commençons par une note peu joyeuse et les tristement célèbres bombardements du 6 et 9 Août 1945. Une année qui marquera aussi la reddition officielle du Japon (prononcée par l’Empereur), s’en suivra la période de l’occupation américaine jusqu’en 1952. Bien entendu, l’influence américaine ne va pas se volatiliser, elle continuera d’imprégner le quotidien des japonais (le baseball en est le meilleur exemple).

Le manga fait alors figure d’échappatoire pour les japonais qui peuvent y avoir accès. C’est durant cette rude période qu’un certain Osamu Tezuka émerge et connaît ses premiers succès (comme en 1947 avec “La nouvelle île au trésor”). Le pays du Soleil levant se redresse, se reconstruit, c’est le début du miracle économique japonais. Qui dit miracle économique dit enrichissement de la population (même si de nombreuses inégalités demeurent) et donc d’argent à dépenser. À dépenser, mais dans quoi ? Les loisirs !

Toshiyuki

Toshiyuki Araki naît le 7 Juin 1960 à Sendai (Mégalopole de la côte Est japonaise, capitale de la préfecture de Miyagi). Son père est un employé de bureau, sa mère est femme au foyer.

Il est abreuvé de récits occidentaux comme 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne, pour ne citer que cet ouvrage. Ce genre d’histoires qui, au-delà de l’univers qu’elles proposent, vont également attiser l’intérêt de Toshiyuki pour les cultures étrangères et occidentales. Si l’on devait s’arrêter sur le premier coup de foudre culturel d’Araki, ce serait forcément lorsque, accompagné de son père, il découvre “Le bon, la brute et le truand” de Sergio Leone (1966). Film mythique qui en a sans doute marqué bien d’autres, c’est aussi la performance de Clint Eastwood qui va frapper le jeune nippon. Sobrement intitulé “Le tireur du crépuscule” au Japon (sorti dans l’archipel en 1967), le film marque aussi par sa bande son iconique, dirigée par le non moins légendaire Ennio Morricone.

Restons en compagnie du père de Toshiyuki si vous le voulez bien. Un homme passionné d’art, il possède une belle collection de livres abordant ce vaste sujet. Et ce n’est pas pour déplaire à son jeune fils, qui au crépuscule des 60’s commence à griffonner le papier.

Qu’en est-il du manga dans les années 60 ? De nombreux auteurs, eux-mêmes abreuvés aux œuvres de Tezuka, deviennent le visage d’une nouvelle génération. Mitsuteru Yokoyama fait partie de cette vague, le créateur de Babel II sera une influence majeure d’Araki.

Le manga mue et adopte un rythme de parution hebdomadaire notamment sous la houlette du Shonen Magazine, très apprécié par notre jeune Toshiyuki. Si le cadençage de ce médium vous paraît familier, son ADN est lui bien loin de ce que nous connaissons aujourd’hui. En effet, si les termes Shojos, Seinen et consorts existent, les frontières entre ses catégorisations sont presque nulles. C’est à l’époque un Manga majuscule, qui ne se préoccupe que peu des codes liées à ces désignations de genres. Il est décloisonné et ce grand bouillon d’influences et de cultures est sans doute ce qui donnera à Araki cette appétence hétéroclite qu’on lui connaît.

Je l’ai abordé à demi-mot, les genres existaient déjà. Donc le nekketsu aussi ! Mais c’est réellement dans les années 70 qu’il devient populaire. La raison réside dans ce flirt des genres, qui s’amenuise petit à petit pour se tourner vers un manga que l’on connaît aujourd’hui. Une autre raison est la naissance du Shonen Jump, en 1968.

Au fait, Toshiyuki à deux petites sœurs, elles sont jumelles et donc fusionnelles. Cela va créer un sentiment d’exclusion chez notre futur auteur qui passera de longues heures à dévorer les livres d’art de son père et les mangas qui lui passent sous la main ! Et puis, il dessine toujours et il va continuer de le faire, inlassablement tout en ingurgitant un nombre incalculable d’œuvres, qu’il s’agisse de musique, de sculpture (on en reparle) ou de tout autre type d’expression artistique.

Vous vous souvenez, le miracle (économique) japonais ? Nous sommes toujours en plein dedans et à l’approche des années 80, le divertissement est roi. Araki a maintenant 20 ans, même s’il est doué en dessin, ses tentatives restent sans écho. Quand je parle de tentatives, je parle des innombrables fois où Toshiyuki envoie son travail à une maison d’édition, sans qu’il n’ait de réponses.

Il décide donc de prendre le taureau par les cornes et monte à Tokyo. C’est dans le bâtiment de la Shueisha qu’il fera une rencontre décisive pour la suite de sa vie. Et quelle rencontre ! Il s’agit de Ryosuke Kabashima, un tout jeune éditeur qui va prendre la peine de considérer Araki… en critiquant son travail.

Mais le jeune dessinateur y voit une avancée notoire, il a enfin eu une réponse ! Qui plus est, une critique sur différents points de son travail qu’il va s’empresser de corriger, de retour à Sendai (qui se trouve au Nord de Tokyo). Son histoire retravaillée, Toshiyuki la présente à un concours organisé par la Shueisha. Et c’est donc avec Buso Poker qu’il décroche la 2e place du prestigieux Prix Osamu Tezuka (à noter que le jury ne décerne presque jamais le premier Prix).

Au-delà de cette grande victoire pour Araki, la symbolique est forte ! Tezuka a bercé de nombreux auteurs dont Yokoyama qui a lui-même bercé Araki. La boucle est bouclée. Pourtant, le plus dur reste à venir. La victoire de ce prix lui accorde 100 000 yens (qu’il utilisera pour voyager, afin de s’immerger dans de nouvelles cultures, comme l’Angleterre et l’Italie), ainsi qu’une publication dans les pages du Shonen Jump.

Dans le grand bain

Le 5 Janvier 1981 (soit 15 ans pile avant ma naissance), nous retrouvons Buso Poker dans le Jump. Hélas, une histoire trop “pauvre” pour pouvoir être sérialisée et Araki retourne dans ses galères. Car une publication ne signifie pas la réussite et la gloire.

Les années qui vont venir seront des années difficiles pour le jeune auteur qui ne va pas laisser tomber pour autant. Un acharnement qui va payer. En 1983, Mashonen BT débute sa sérialisation dans les pages du Jump (les initiales BT font référence à Buichi Terasawa). Ça y est, Araki est lu chaque semaine et cela va durer… 6 semaines ! Malheureusement pour lui, ce titre est un échec commercial, il faut dire que déjà à l’époque Araki a du mal à se conformer au moule “imposé” par le magazine. Son histoire et plus précisément son personnage ne collent pas aux valeurs du Jump et malgré un dernier chapitre prometteur, Mashonen BT s’arrête.

Mis à part Araki, qu’en est-il de la planète manga ? Eh bien c’est une bombe qui vient d’arriver dans le même Shonen Jump, l’œuvre légendaire de Buronson et Tetsuo Hara : Hokuto no Ken. Hara devient la référence graphique de ces années 80 en dépeignant les aventures vengeresses de Ken, un jeune homme bodybuildé qui va codifier la graphie shonen de cette décennie.

Pourquoi ce culte soudain du corps ? Alors que le peuple japonais est intrinsèquement lié aux arts martiaux depuis des siècles, c’est du côté d’Hollywood qu’il faut regarder. À l’époque, c’est Sylvester Stallone ou encore Schwarzy qui exhibent leurs muscles surdimensionnés dans les blockbusters à succès. Des œuvres sous testostérones que les japonais découvrent presque en même temps que leur sortie originale (vestige de l’occupation américaine). C’est l’ancêtre du simulcast !

Et si on marquait un temps d’arrêt ?

Si Araki est un puits de connaissances et d’influences en tout genre, j’ai envie de m’arrêter sur un artiste en particulier. Cet interlude s’appelle “Toto’s Baroque Adventures”.

Je vais faire bref car Frederico Anzalone le fait bien mieux que moi dans “Jojo le diamant inclassable du manga” (c’est un pépite), mais je ne pouvais pas faire autrement que de vous parler des sculptures italiennes. Plus précisément celles du Bernin. Si vous cherchez une origine aux futures Jojo Pose, je pense que la fascination d’Araki pour les marbres de cet artiste du 17e siècle, est une piste solide. Gian Lorenzo Bernini (1598 – 1680), le second Michel-Ange, architecte de la place Saint-Pierre, avait une obsession pour les torsions des corps, une recherche de mouvement perpétuelle que l’on retrouve, bien sûr, chez Araki. (enlèvement de proserpine)

Fin de l’interlude.

D’ailleurs, revenons au Japon, 1984 marque un tournant dans la vie d’Araki. Lui qui malgré sa sérialisation n’avait pas quitté Miyagi, va déménager pour Tokyo.

Artistiquement on va noter une mutation chez le jeune auteur qui va se rapprocher des standards actuels, sans pour autant se dénigrer ! L’auteur frappe fort avec Baoh Raihosha, un pur Shonen qui sera sérialisé sur 1984 et 1985 dans le Jump. Ce gain de popularité nous mène à sa dernière œuvre “pré-jojoesque” : Gorgeous Irene.

“Shonen Jump – Rebelle – Auteur” est une association de mots qui font penser à Togashi bien sûr, mais ce n’en est pas moins vrai pour notre cher Araki qui signe désormais Hirohiko.

Mais parlons donc de Gorgeous Irene. Une fois de plus, je ne vais pas m’attarder sur le fond de l’œuvre, mais bien appuyer l’audace d’Araki. Il choisit une femme, pour un magazine Shonen des années 80, c’est plutôt osé. La classification des genres s’est consolidée depuis et détonne donc avec le paysage du Jump.

On retrouve donc cette aventure dans le numéro spécial d’automne du Weekly Shonen Jump le 1er octobre 1985. Un succès en demi-teinte pour Gorgeous Irène et notre voyage nous mène le 1er Janvier 1987. Eh oui, enfin est venu le moment de nous plonger dans l’univers Jojo. C’est à cette date que le premier chapitre de “Jojo no Kimyo na Boken” débarque dans le Jump !

Tout comme Mashonen BT, Baoh et Gorgeous Irene sont disponibles en France dans le coffret Hirohiko Araki, chez Delcourt/Tonkam.

Recentrons nous sur Jojo.

Araki persiste et signe, ses nouvelles aventures seront bizarres. L’indomptable jeune mangaka, bien épaulé par son tanto Ryosuke Kabashima (eh oui, celui-là même qu’il avait rencontré au siège de la Shueisha en 1980) va de nouveau proposer une histoire en dehors des sentiers battus. Si la quasi-totalité des shonen de l’époque mettent en scène des héros japonais, au Japon (hormis univers fictifs), il s’agit là de s’immerger dans l’Angleterre victorienne aux côtés de jeunes anglais : Jonathan Joestar et Dio Brando. Même Hiroki Goto, ancien rédacteur en chef du Shonen Jump se souvient de l’audace d’Araki dans ses choix de séries et notamment sur Jojo qui en plus de se situer en Angleterre, le fait au XIXe (propos recueillis dans son livre “Jump, l’âge d’or du manga”).

Jojo, cette fresque presque mythologique et intergénérationnelle, va ici poser ses bases : l’héritage, le destin et l’amour de l’humanité. Malheureusement, au début de la publication de Jojo, le grand-père de Toshiyuki décède. N’est-ce pas là la manifestation la plus parlante des bases nommées ci-dessus ?

Phantom Blood

Nous y voilà ! Jojo’s Bizarre Adventure ouvre son bal tambour battant sur un rite sacrificiel sauce slasher. Il ne faut que 2 petites pages à Araki pour nous introduire le sinistre masque de pierre qui diffuse de suite une aura funeste, presque mythologique. C’est Dio que nous découvrons en premier, petit fun fact, il apparaît en tenant le livre Gorgeous Irene.

Bien que le déroulement de Phantom Blood soit connu, à partir d’ici l’article va révéler des éléments clés de la première partie de JoJo’s Bizarre Adventure. Si vous voulez les découvrir par vous-même, je vous recommande de lire Phantom Blood ou de regarder l’anime avant de revenir sur l’article.

Bienvenue donc dans l’Angleterre victorienne, année 1880 ! C’est une histoire basée sur le mensonge qui va ici nous être contée. En effet, c’est ce quiproquo qui va déterminer la suite des événements (Destin 1 – 0 Joestar) en rendant Lord George Joestar – un riche anglais travaillant dans le commerce – redevable envers Dario Brando, un simple brigand. Dans l’esprit du Lord, Dario est venu à son secours lors de son accident de la route. En paiement de cette dette, Dio va rejoindre la famille Joestar (c’est l’héritage de Dario pour son fils). Le but de Dio, s’emparer de leur fortune.

Joestar ? Mais où est Jojo ? Ce n’est qu’à la page 21 que Jonathan se dévoile. Il prend alors la défense d’Erina dans le but de devenir un véritable gentleman, Jojo 1er du nom à un sens aigu de la justice. Vient alors la rencontre Dio-Jojo qui prend d’entrée des allures d’opposition manichéenne.

Excavé au Mexique (il appartenait aux aztèques), le masque s’est retrouvé chez un marchand d’art à Londres. C’est là que l’a acquis Lord Joestar, le père de Jonathan (Destin 2 – 0 Joestar). Dio se fait vite remarquer et après avoir embrassé Erina de force, il tue Danny, le chien de Jojo. Ces événements marquent officiellement le début de la quête de Dio : briser Jojo pour s’emparer de la fortune familiale.

Sur ces atrocités, l’auteur décide de faire une ellipse, un bond dans le temps de 7 ans, jusqu’en 1888. Jack l’éventreur ! Ce tueur légendaire à justement sévi dans le district de Whitechapel en 1888. On lui attribue 5 meurtres canoniques entre Août et Novembre. Autrement dit, c’est lui le symbole ultime de la terreur à cette époque.

Mais que sont devenus nos deux personnages principaux ? Dio a officiellement été adopté par les Joestar, il est actuellement major de sa faculté de droit tandis que Jojo fait une thèse en archéologie en parallèle de recherches sur le masque. Le masque lui paraît porteur d’une malédiction, en lien avec la thématique du destin. C’est un sujet que l’on retrouvera plus tard chez Junji Ito dans “Archéologie de la terreur” inédit en France.

Dio passe à l’action, en plus d’essayer d’empoisonner Lord Joestar, on apprend qu’il a tué son père biologique de cette même façon. Dio traverse donc un complexe d’Œdipe ? Base de la théorie pulsionnelle, théorisée par Freud, le complexe d’Œdipe est une phase ponctuelle de l’enfance. Lors de celle-ci, non seulement l’enfant veut entretenir une relation amoureuse avec le parent de sexe opposé mais il souhaite éliminer celui du même sexe que lui. Pour Dio, ni sa mère biologique, ni la femme de Lord Joestar ne sont encore de ce monde. La femme est ici remplacée par le pouvoir et la fortune que Dio veut accaparer. Par extension on peut donc – en partie – expliquer le comportement de Dio sous le prisme de l’enfance, Araki met l’accent sur le côté pulsionnel et capricieux de cette phase de la vie. Le contraste est saisissant, Dio étudie le droit, pourtant sa véritable nature est à contre-courant de cette vocation.

En ouverture de cette analyse sur Phantom Blood, je parlais de fresque mythologique. Par essence un voile de légende est donc nécessaire et c’est exactement ce qu’il se passe lorsqu’un mystérieux chinois réalise une divination pour Dio. Si je n’ai trouvé aucune trace d’un chinois de 183 ans ou encore la signification de 3 grains de beauté sur l’oreille, une autre piste de réflexion s’est dévoilée à moi, on y revient un peu plus tard !

Percé à jour, Dio s’enlise toujours plus dans la peau du Diable (c’est ironique lorsque l’on connaît l’origine de son nom : Dieu). Araki appuie encore une fois la dimension divine, la dichotomie binaire entre lui et Jojo. Jojo qui, à l’instar de son père, incarne la candeur et la douceur à l’extrême, il n’est pas galvaudé d’aller jusqu’à parler de niaiserie. Cette innocence ne fait-elle pas aussi écho à l’enfance ?

JoJo’s Bizarre Adventure en est encore à son stade de développement, c’est à mon sens cela qu’Araki nous envoie comme signal dans cette première phase. Le sang. Liquide vital. C’est celui de Lord Joestar qui se retrouve parsemé sur le masque de pierre, lui-même apposé sur le visage de Dio.

Symbole de l’abandon de son humanité, chose qu’il explicite clairement. Un masque qui n’est pas sans rappeler le personnage mythologique de Loki, Dieu nordique associé à la malice, la discorde et aux illusions. Un dieu intimement lié au Ragnarok, inévitable et sanglante fin du monde. Encore un coucou du destin.

Dio trahit sa famille, tue le père à nouveau (second complexe d’Œdipe), muni d’une lame dans sa manche tel un Judas. Vous l’aurez compris, Dio cumule les éléments accablants et ils font de lui l’archétype du mal tandis qu’aux portes de la mort, Lord Joestar fait scintiller la notion d’héritage en transmettant ses valeurs qui survivront à travers son fils biologique : Jonathan.

Dio est abattu. Cela marque la fin de sa vie humaine. Mais il se relève aussitôt et sa première action en tant que revenant est de tuer un policier (instinct primaire). Dio, l’enfant assujetti de pulsions vient de dire son premier mot dans la langue du sang et de la terreur. Pire encore mais peut-être vais-je trop loin, il réapparaît la tête en bas, l’apanage des chauve-souris qui annonce sa condition de vampire. Aussi, je ne peux pas dissocier cette scène de l’image d’une croix renversée, symbole absolu de l’opposition à dieu, au bien. Concernant les vampires, les croyances populaires veulent qu’en plus de l’ail et de l’aubépine, un crucifix soit une protection.

Interlude : Le mythe du vampire

Le vampire est par essence un mort-vivant. Une créature qui trouve ses racines dans bien des folklores à travers les âges. C’est un 1725 qu’on retrouve la trace de l’appellation “Vampire” dans les contes d’Arnold Paole et de Peter Plogojowitz, soldats autrichiens tombés face à l’Empire Ottoman et revenus d’entre les morts pour hanter des villages. En 1728, Michael Ranft définit les codes du vampire dans son ouvrage “De masticatione mortuorum in tumulis” et cite dans le texte “vampyri”, en slave.

Nous n’allons pas énumérer toutes ces manifestations vampiriques, seulement je voulais finir cette parenthèse en abordant Bram Stoker, écrivain ayant signé une œuvre légendaire : Dracula. Il dépeint le vampire comme un créature vicieuse, cachant son vrai visage pour se repaître de sang et ainsi transformer ses victimes. La première publication (IRL) eut lieu en 1897 soit seulement quelques temps après les événements de Phantom Blood ! Pour finir sur les parallèles entre les deux œuvres, que ce soit le vampire d’Araki ou celui de Stoker, les deux répondent à des thématiques psychanalytiques universelles (bien/mal, humain/monstre, la vie éternelle). Et puis dans les deux cas, leur opposant est un Jonathan !

Fin de l’interlude.

Sur cette planche, pour accentuer le mouvement, le personnage se voit doté de plusieurs paires d’yeux. Autre manga dans lequel j’ai relevé cette technique : Vampyre de Suehiro Maruo. Hasard, coïncidence ou destin ? (celui-ci apparaîtra en 1998).

Le Chapitre 15 “Adieu mon enfance”, au sens figuré et au regard de la psychanalyse : tuer l’enfant. N’avions nous pas dit que nos deux personnages étaient, de ce point de vue, des enfants ?

Au sens propre, c’est le manoir des Joestar qui prend feu dans cet affrontement du bien contre le mal. Dans l’incendie, c’est plus qu’une bâtisse qui part en fumée, “c’est là que mes ancêtres ont vécu” clame Jojo, comme pour rappeler une nouvelle fois l’intergénérationnel dans JoJo’s Bizarre Adventure. Ce sont les racines qui brûlent tout comme le cadavre de Lord Joestar (qui aura donc la même fin que Danny). Les flammes, et vous le savez, connotent l’enfer et dévorent tout. Tout sauf la volonté et l’héritage impalpable des Joestar qui vit à travers Jonathan.

Dio marche sur les murs ! Il brise tant sa condition d’être humain que le découpage d’Araki. Après avoir tué le(s) père(s), tué l’enfant, il s’agit maintenant de tuer le frère (on retrouve dans diverses mythologies des fratricides, comme celui de Seth et Osiris). Jojo s’empare de la lame qui à blessé mortellement Lord Joestar pour poignarder Dio. La blessure qui en suit me renvoie à celle infligée par un soldat romain à Jésus, alors sur la croix. Si c’est la lance de Longin (Une sainte relique, présente dans Evangelion) qui touche le fils de Dieu au flanc droit, Jojo assène un coup à l’engeance du démon, Dio, côté gauche.

Après un combat enflammé, dans tous les sens du terme, Jojo empale Dio sur la statue de la déesse de l’amour, protectrice de la famille Joestar. Hors contexte, ça donne Aphrodite VS Dracula. Transpercé, transit d’amour, c’est donc ainsi que Dio termine. Ou du moins que se termine cet affrontement qui l’oppose à Jojo.

La terrible nuit est derrière nous, nous retrouvons un visage familier : celui d’Erina Pendleton. La jeune femme fraichement revenue d’Inde, panse les blessures de Jojo, c’est clair, elle est la nouvelle déesse protectrice des Joestar. La notion de destin se réaffirme de nouveau, quelle probabilité y avait-il que les deux tombent l’un sur l’autre à ce moment-là…

En parallèle de cette bouffée d’air frais, Dio se dévoile partiellement incarcéré dans un pilier (si vous avez lu Battle Tendency, vous devez être en train de sourire). Dans le manga (coloration officielle) il apparaît doré, comme revêtu d’une aura divine (j’ai immédiatement pensé à The World). Cependant dans l’anime, Dio est dans la pénombre donc se devine en noir.

C’est là dessus que s’achève le deuxième tome. Le suivant s’ouvre sur un nouveau voile de mystère : Jack l’Eventreur fait sa réelle apparition. Dio est de retour et malgré son état (très affaibli, il se déplace en fauteuil roulant), il soumet et rallie Jack à sa cause (ce dernier pourtant en pleine pulsion meurtrière). Une scène forte lorsque l’on sait que Jack est la figure de la terreur dans le Royaume-Uni. C’est dire l’aura et la puissance de Dio. Plus encore, il paraît omnipotent, l’apanage des dieux. Pour se restaurer, il dit devoir se nourrir de jeunes femmes, une fois de plus j’y trouve un écho dans Vampyre de Maruo et le personnage de l’ogresse.

Après Jack, c’est à Will A. Zeppeli de faire son entrée dans l’univers Jojo ! Il amène avec lui une énergie mystérieuse, le Xiandao. C’est par là aussi que s’affirme l’appartenance de JoJo’s Bizarre Adventure au nekketsu. Un nom à consonance italienne, signe de l’amour d’Araki pour les émanations artistiques de cette culture. Et surtout, il est inspiré du groupe Led Zeppelin, des références musicales qui se développent après celle à Ronnie James Dio. De suite, il prend des airs de maître pour Jojo. Je vous parlais de Xiandao, il s’agit bien de l’onde !

D’ailleurs permettez moi une dernière parenthèse dans notre analyse. Un peu plus tôt j’ai abordé avec vous la divination faite à Dio par un mystérieux chinois. J’ai mis le doigt sur diverses légendes chinoises. Ces contes s’articulent autour de l’immortel taoïste aussi appelé Xianren ou Xian (tiens tiens). Vous aurez noté la ressemblance étymologique avec le Xiandao. En Chine, cet être se distingue dans la mythologie en transcendant les concepts inhérents aux humains de vie et de mort. Dans Jojo, le Xiandao (l’onde) est une technique basée sur la respiration, chose la plus basique et vitale possible (que l’on retrouvera bien plus tard dans Kimetsu no Yaiba).

Le masque de pierre est lui aussi basé sur l’onde. Deux faces d’une même pièce en soi. D’ailleurs, si l’onde paraît magique et abstraite de prime abord, Araki n’aura de cesse de nous convaincre qu’il y a une logique derrière. Dans sa jeunesse, Zeppeli participait à des fouilles archéologiques, point commun avec Jojo mais aussi avec Kabeshima. Oui oui, le tanto d’Araki ! C’est dans “Jump l’âge d’or du manga” de Hiroki Goto que l’on découvre que le jeune éditeur avait étudié l’archéologie ainsi que l’histoire occidentale, Araki pouvait-il mieux tomber ? Ahhh le destin, une fois de plus.

Toujours selon les mots de Goto, Kabeshima est un véritable érudit, “de ceux que l’on ne rencontre que peu parmi les éditeurs”. C’est à ce moment que l’on découvre le passé de Zeppeli et notamment l’expédition durant laquelle son père est mort, à cause du masque de pierre (massacre à huis clos : REC4). Nouveau parallèle avec Jojo.

Suite à ces événements, le masque disparut à la dérive sur l’océan puis finit on ne sait comment par atterrir chez un marchand d’art à Londres. Une nouvelle matérialisation du destin qui accompagne le masque dans sa quête de pouvoir.

Nous voici donc à Wind Knight’s lot, la ville maudite. Bourgade fictive au sud de Londres et aux airs de bout du monde (comme Kurozu-cho : Spirale, Junji Ito). Isolée, entourée de montagnes abruptes, elle est annoncée comme étant le futur théâtre d’un massacre. Ici j’ai directement pensé à Ruhenheim, dans Monster de Urasawa.

Du fait de la configuration des lieux, une prison y a été construite, ce qui porte le nombre d’âmes dans la ville à 517 (habitants + prisonniers). Cette ville à des allures d’enfer sur terre, déjà de par la topologie mais aussi de par cette concentration de mauvaises âmes, de marginaux. Dans ce théâtre des horreurs au terreau fertile pour activités maléfiques, Dio se rapproche encore plus du mythe du vampire.

Notre troupe de héros, composée de Zeppeli, Jojo et Speedwagon, s’apprête à emprunter le tunnel menant à Wind Knight’s lot, à bord de leur diligence avant d’assister au remake arakien de Sleepy Hollow. Cette fois-ci, ce sont les chevaux qui sont “sans-tête”. Qui est responsable de ce massacre ? Du cou d’un cheval s’extirpe Jack. Cette vision d’horreur revisite le cheval de Troie (à mi-chemin entre Cronenberg et Tarantino). Elle marque également la soumission de ce dernier à Dio et donc son opposition directe aux héros.

Jojo va donc devoir affronter ce qui semble être un lieutenant de Dio. Un échelon nekketsuesque à gravir ! Chose peu commune que j’ai grandement appréciée lors de ce combat, Araki allie à la fois l’entraînement et la situation réelle. Cela donne plus de légitimité à la montée en puissance soudaine de Jojo car sa vie est en jeu.

Cela ne vous aura pas échappé, je trouve cela de plus en plus flagrant, notamment en cette fin de 3e tome : la ressemblance frappante entre Jonathan et Stallone. De plus, Araki se conforme toujours plus aux codes actuels en nous proposant un Jojo bodybuildé, au-delà des limites réelles.

Jonathan sort vainqueur de son duel dans ce qui semble être l’antichambre de l’enfer, un purgatoire avant le grand brasier de Wind Knight’s lot. À la seconde où le soleil se couche, Dio réapparaît. Il se tient en hauteur, il surplombe les héros comme pour signifier son appartenance au divin ou encore la différence abyssale de puissance entre eux et lui. Jojo et ses amis sont sur le plancher des vaches, au même niveau que les zombies, les morts, les mortels.

À peine est-il à la vue de nos personnages qu’il suscite le malaise, le dégoût. Plus encore que les putrides zombies et malgré sa beauté apparente, les mots utilisés pour le désigner appartiennent au champ lexical du diabolique. Après tout, les odeurs nauséabondes sont citées dans les cas de possessions malignes et Belzébuth est surnommé le “Roi des ordures”. Zeppeli dit de Dio qu’il est un malin, encore une preuve – s’il en fallait – qui le rapproche du côté purement mauvais de la dichotomie bien/mal. Pour servir ses desseins, Dio bafoue un symbole d’innocence et de pureté : l’enfance.

Ce troisième tome s’achève sur une nouvelle représentation mythologique, grecque en l’occurrence. À nouveau une planche où Dio surplombe, il fait figure d’un Dieu trônant sur l’olympe tandis que les héros – mortels – escaladent le Mont (olympe, 2917 m).

Première réelle manifestation de la dimension arakienne des affrontements, que l’on retrouvera dopée dans Battle Tendency et de manière toujours plus aboutie avec l’apparition des stands. En effet, ici Dio analyse l’origine du pouvoir de son ennemi, fluctue sur les paramètres et prend l’avantage. Si les affrontements sont à coups de magie (l’onde), une fois de plus Araki dresse en parallèle les lois de son univers avec une réelle logique.

S’en suit un deuxième exemple, lorsque Jojo, acculé par son adversaire Bruford, est sous l’eau. L’onde étant basée sur le souffle, il y a un problème.. Mais Araki nous surprend (ainsi que Bruford). Jojo se sert de ses connaissances et tire profit de son environnement en utilisant de l’oxygène coincé sous les roches, au fond de l’eau. Une bouffée d’air et l’onde surgit !

Jonathan Joestar, c’est 1m95 pour 105kg, éloignons nous d’Hollywood pour nous concentrer sur l’aspect mythologique. Jojo ne suit-il pas les standard herculéens des héros légendaires, des titans ? Le nekketsu monte en puissance, Jojo coche petit à petit les cases du héros de shonen, il est désormais question de s’enflammer, de cœur qui palpite et de sang qui bouillonne. Malgré tout, chasse le naturel et il revient au galop ! Jojo garde sa naïveté, sa douceur qui contrastent avec sa carrure et sa puissance.

Parlons horreur, au cœur de cette nuit d’effroi au Sud de Londres nous pouvons identifier bien des émanations du genre horrifique : vampires, zombies, body horror, paranormal/magie. Au delà de l’érudition folle d’Araki, rappelons le boom de la culture occulte au Japon dans les années 70 (légendes urbaines, cinéma…). Né en 1960, Toshiyuki a sûrement pris cette vague de plein fouet.

Recentrons nous.

Selon les mots de Zeppeli, l’onde est l’inverse du masque. Une opposition totale, ici encore manichéenne. Si le masque, dont le pouvoir est basé sur l’onde, se rêve en empereur du monde, le Xiandao purifie les âmes et sous-entend l’héritage dans sa diffusion. Deux faces d’une même pièce.

Nous voici dans la salle du dragon bicéphale. À travers un flashback, nous rencontrons Tonpetty, le maître de Zeppeli. Ce népalais (omnipotent ?), en plus de lui apprendre l’onde, l’avertit sur le funeste destin qui l’attend en se lançant à la poursuite du masque. Ce dandy aux airs de chapelier fou est né en 1938. Il a donc 50 ans au moment des faits. La prophétie de Tonpetty semble resserrer son étau sur le Baron. Tarkus, chevalier-zombie à la solde de Dio, le coupe en deux et rend définitivement palpable cette idée de destin.

Grâce au sacrifice de son maître, Jojo se libère de ses chaînes physiquement comme au sens figuré. Après Lord Joestar qui a transmis ses valeurs et sa volonté, c’est au tour de Zeppeli (maître et père de substitution) de léguer sa dernière onde de vie à Jojo. Tarkus est vaincu, Araki cite alors William. M. Thackeray (auteur anglais du XIXe) pour accompagner le souvenir du baron : “Aimer et gagner est la meilleure des choses, aimer et perdre la suivante”.

Zeppeli fait pour moi écho au mythe de Prométhée. L’un a dérobé le feu, l’autre a acquis l’onde. L’un subit le courroux de Zeus (enchaîné à un rocher, son foie sera dévoré chaque jour par un aigle) tandis que Zeppeli, enchaîné au destin a vécu chaque jour en connaissant son triste sort. Mais les deux ont transmis : le feu (le savoir), l’onde (la puissance). Dans tous les cas, un héritage.

Le dernier tome s’ouvre donc sans Zeppeli. Le maître s’en est allé, un second le remplace : Tonpetty, le moine tibétain. Il ne vient pas seul, il est épaulé de Dire (proto-Polnareff) et Straitzo.

Au même moment, Dio transforme une femme, elle mange son propre enfant. Dio l’a dupée en lui disant qu’il ne toucherait pas à son enfant, en soi il n’a pas menti mais affirme encore sa fourberie, sa malice et son côté pervers qui le rapproche toujours plus du Diable.

Dio s’étend dans un fauteuil pareil à celui d’un empereur. Sa position n’est pas sans rappeler la célébrissime fresque “La création d’Adam” par Michel-Ange. Si l’on va plus loin dans la comparaison, il est clair qu’ici Dio adopte la posture d’Adam. On peut imaginer par-là qu’il s’agit d’un nouvel être, le premier de son espèce. Ou bien tout simplement que Dio pense avoir le rôle de Dieu.

Ce pseudo-dieu du mal s’entoure d’hybrides humains/animaux, il joue avec la vie et reconstitue les corps. Araki se déguise en Mary Shelley, Dio lui en Victor Frankenstein (autre clin d’œil à Prométhée d’ailleurs). Doobie l’étrange, autre lieutenant de Dio. Amalgame d’humains et de serpents qui fait nécessairement écho à la Gorgone. C’est l’occasion de citer de nouveau Gian Lorenzo Bernini avec “La méduse” (1630).

Doobie vaincu, Jojo se retrouve face au boss final. “Je reviens de l’enfer”, c’est en ces termes qu’il s’adresse à Dio, l’air fermé, sombre. Dio et sa chevelure flamboyante apparaissent dans un halo de lumière comme pour en rajouter encore sur le voile divin qu’il revêt.

Jojo évolue encore. Après son physique, sa puissance, c’est intérieurement (son moi) que va se faire ce nouveau changement. L’abandon de ses principes, de son côté gentleman, pour mettre un terme aux méfaits de Dio. Il s’agit bel et bien là d’un sacrifice loin d’être anodin lorsque l’on sait son attachement à ces valeurs.

Dire, le subalterne de Tonpetty (oui, ils sont toujours là avec Speedwagon et Straitzo) y va de sa Thunder Cross Attack, les bras en croix fondant sur sa cible comme pour exorciser son ennemi Dio, en vain. Une attaque qui n’est pas sans rappeler le combat de Nam contre Kid Goku au Tenkaichi Budokai, mais on s’égare. Baroud d’honneur pour Dire, qui blesse Dio au visage et plus particulièrement à l’œil droit. Selon la médecine chinoise traditionnelle, le côté droit fait référence au Yin et à la symbolique maternelle, intéressant lorsque l’on sait que Dio à souffert de la mort de sa mère. Et plus encore dans ses phases pulsionnelles parricides semblables au complexe d’Œdipe.

Nous disions donc Dio blessé au visage, un affront pour lui qui tient à son envoûtante apparence. L’angle mort généré par cette blessure fait office de fenêtre de tir pour Jojo qui se rue sur le flanc droit du vampire. Jonathan matérialise son esprit Shonen nekketsu avec un poing de feu qui vient alors s’opposer à la glace de Dio. Une nouvelle fois, des éléments aux antipodes l’un de l’autre. Notre héros touche Dio de plein fouet.

C’est la fin du démon, ainsi s’intitule le 41e chapitre de JoJo’s Bizarre Adventure. C’est là que, dans sa chute, Dio hurle “moi qui doit vivre pour des siècles et des siècles”, une phrase qui n’est pas sans rappeler le “Notre père”. Et la confirmation que Dio se prenait vraiment pour Dieu.

Si la chute s’analyse par le texte, elle s’analyse aussi dans la posture de Dio. Son corps (vrillé, Le Bernin appréciera) rappelle “La chute de Lucifer” de Gustave Doré. Aussi, dans la symbolique on peut joindre plusieurs éléments en rapprochant Dio et Icare (La Chute d’Icare, Peter Gowy). En voulant s’approcher du Soleil, ils se sont brûlés les ailes. Ici, Dio a voulu s’accaparer le monde, le Soleil est le pouvoir. Mais le Soleil renvoie aussi au feu du nekketsu et donc aux poings de Jonathan.

Gentleman un jour, gentleman toujours. Adieu mon enfance résonne de nouveau alors que Jonathan pleure son frère (adoptif). Pendant que les larmes coulent, Dio se tranche la tête dans un dernier sursaut d’orgueil et d’instinct de survie. Son cerveau intact, c’est son plus fidèle sbire, Wang Chan qui récupère sa caboche. Sur cet ultime rebondissement vient la fin de la nuit de ce 1er Décembre sanglant.

Le masque de pierre est détruit. Mis à part le baroud d’honneur de Dire, j’ai du mal à trouver une réelle utilité à Straitzo, Tonpetty et Speedwagon dans cet affrontement. Ils ont été, cette nuit, MUDA MUDA. On peut y voir les limites scénaristiques d’Araki à l’époque dans sa gestion des ressources (personnages), rappelons qu’il reste malgré tout, un jeune auteur.

Nous voici le 2 Février 1989, soit 2 mois après les événements tragiques de Wind Knight’s lot. C’est aussi le jour du mariage de Jonathan Joestar et Erina Pendleton qui partent dès le lendemain en lune de miel, direction l’Amérique. Notons au passage que Speedwagon porte désormais le chapeau de Zeppeli. Autre matérialisation de l’héritage et de la transgénérationnalité de l’œuvre, ce dernier représente aussi un marqueur social nouveau pour Speedwagon, définitivement plus un brigand. Vous vous en doutez, ce bonheur n’est qu’une courte accalmie.

Wang Chan parvient à faire embarquer dans un énorme cercueil, son maître Dio, sur le bateau qui doit mener les époux jusqu’au nouveau monde. Dans les tréfonds du bateau, comme pour signifier à nouveau sa chute, Dio patiente dans ce cercueil baigné de lumière. La sépulture d’un saint.

C’est sur ce dernier qu’un moine maladroit fait chuter son crucifix, en venant récupérer son bien, il trouve le mal et perd la vie. Dio, ce démon, vient d’abattre un homme de Dieu. Le revoilà, Dio apparaît clairement avec une expression faciale proche de celle qu’arbore Lucifer dans la peinture d’Alexandre Cabanel : L’Ange Déchu (1847).

C’est à ce moment que Dio émet l’hypothèse de l’existence de Dieu et du destin avant d’avouer son respect à Jonathan. À quelques encablures de la conclusion de Phantom Blood la boucle est bouclée, enfin presque.

Nouveau face à face Dio/Jojo, dans la cale tandis que les zombies investissent le reste du bateau. Un remake de la jeunesse de Zeppeli et de la mort de son père. Bis repetita. Pour le vampire, lui et Jojo ne font qu’un. Il veut s’emparer du corps de son frère. Jojo subit alors une attaque “à la Scott” des X-Men de la part de Dio et voit ses deux mains être transpercées. Pour moi c’est clair, Jonathan en bouclier de l’être humain, se mue en Jésus crucifié. C’est avec sa dernière once d’onde que Jojo prend le contrôle du corps de Wang Chan pour faire exploser le bateau.

“Destins liés” : Avant de faire aboutir ce sacrifice pour le genre humain, comme pour couronner la notion d’héritage en tant que pivot indétrônable de l’univers Jojo, Jonathan demande à sa femme de s’enfuir avec un bébé, rescapé du massacre en cours. Avant de disparaître, Jojo reconnaît éprouver de l’amitié pour Dio, il se reconnecte officiellement à ses valeurs de gentleman qu’il avait abandonnées lors de l’affrontement de Décembre.

7 Février 1989, mort de Jonathan Joestar. Araki tue son héros après 44 chapitres, un choix osé mais nécessaire dans son processus de création de la dynastie Jojo. Aussi, cela lui permet, dans un bouquet final, d’appuyer les bases que l’on nommait au début de notre analyse : Héritage, destin et amour de l’humanité. Erina, non plus Pendleton mais Joestar, déesse protégée et protectrice des Joestar s’enfuit avec le bébé et l’héritage de George et Jonathan. À la dérive, à bord du cercueil blindé, les deux personnages seront secourus le 9 Février au large des Canaries. Ainsi s’achève la première partie de JoJo’s Bizarre Adventure et après tout, n’est-ce pas dans l’héritage et la transmission que se trouve la réelle immortalité ?

Yozo

2 réflexions sur “Hirohiko Araki et Phantom Blood

  1. Mon rapport à JoJo’s Bizarre Adventure, et par extension à Phantom Blood, est assez particulier. J’ai commencé à m’intéresser à la série quand Tonkam publiait Golden Wind, et les quatre premières éditées par J’ai lu étaient alors introuvables. Les quelques fans n’encourageaient pas vraiment à débuter la série avec la partie 5, donc j’ai attendu… En 2010, Futuropolis a sorti Rohan au Louvre, un magnifique livre entièrement en couleurs dans l’univers de JoJo’s. À cette époque, je me suis dit qu’il ne serait pas disponible longtemps dans le commerce, c’est pourquoi je me suis empressé de le prendre et de le lire. J’ai adoré. À tel point que je me suis jeté sur Stone Ocean malgré les contre-indications de certains fans quand Tonkam l’a publié à peine quelques mois plus tard. J’en ai aussi profité pour enfin lire Golden Wind. Puis l’anime de 2012 est arrivé, et Tonkam a commencé à rééditer les anciennes parties. Et c’est là que je me suis rendu compte que je connaissais JoJo’s Bizarre Adventure depuis longtemps en fait, puisque j’avais vu l’anime consacré à Stardust Crusaders quand j’étais ado.

    Je connaissais donc relativement bien JoJo’s avant de lire Phantom Blood. Les deux premières parties avaient très mauvaise réputation auprès des lecteurs. Et un peu influencé par les différents avis, je pense que je n’ai pas apprécié ma lecture à sa juste valeur malgré quelques passages que j’ai trouvés grandioses comme la scène du manoir en flammes et bien sûr la fin. Depuis, j’ai lu JoJolion, qui a fait passer mon affection pour JoJo’s dans une autre dimension. C’est un manga exceptionnel d’un point de vue narratif. Il y a une maîtrise esthétique que l’on pourrait presque considérer comme mathématique qui sert le langage du manga. Et Hirohiko Araki l’utilise autant pour raconter des choses inutiles (et donc indispensables) que l’humanité et ses aspirations.

    Mais dans le fond, ce qu’il fait à travers un personnage pouvant envoyer des bulles de savon, il le faisait déjà à travers un autre capable d’arrêter le temps. La puissance des stands change, l’esthétique aussi, mais Hirohiko Araki reste un obsessionnel. Le thème qu’il aborde dans JoJolion, il en parlait dans toutes les parties de JoJo’s. Si on y réfléchit bien, JoJolion n’est qu’une relecture post-Fukushima de Diamond is Unbreakable et Stardust Crusaders. La quête de la vie éternelle, et l’ambition qui en découle, à travers le fruit du Rokakaka fait écho aux thématiques introduites par le masque de pierre.

    Du coup, avec tout cela en tête, j’ai relu Phantom Blood et j’ai redécouvert le manga. J’avais encore à l’esprit quelques scènes iconiques comme l’apparition de Dio sous la pleine lune, mais je ne me souvenais pas qu’il y en avait autant. Le manga est tellement bien raconté. Visuellement c’est grandiose, les plans sont d’une inventivité folle leur conférent énormément de puissance. Le choix de chaque cadrage, chaque découpage raconte quelque chose. C’est vraiment impressionnant. Je n’avais pas conscience en le découvrant à quel point ce que je lisais est exceptionnel. Mais maintenant que je m’intéresse bien plus à la narration dans le manga et que je connais bien mieux l’auteur, son talent saute aux yeux.

    En plus le manga raconte les aspirations de l’humanité à travers la dualité entre Jonathan et Dio, avec ce sous-texte divin que l’on retrouvera tout au long de la saga. Tout en restant un récit éminemment tragique. Phantom Blood est un mélange d’action et d’horreur à la croisée des chemins entre Hokuto no Ken et Le Clan des Poe. Néanmoins, il a tout d’un drame shakespearien où l’ambition et la soif de pouvoir trouvant leurs sources dans la misère mènent à une inévitable confrontation fratricide. C’est un manga plus profond que sa réputation ne le laisse présager, et il convient de le réhabiliter.

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