Quand le manga s’empare des problématiques LGBT

Aujourd’hui encore, il existe de nombreuses personnes qui n’ont rien de mieux à faire que s’occuper de la sexualité des autres. Pour elles, un couple se compose d’un homme et d’une femme, et tous les schémas différents sont considérés comme anormaux, voire contre-nature. Oui l’homosexualité fait peur, à tel point que certains voudraient que cela reste un sujet tabou. Ces mêmes personnes manifestent contre le mariage pour tous, sont outrées par des campagnes de prévention mettant en scène des couples gays, peuplent les réseaux sociaux de commentaires homophobes pour expliquer pourquoi leur sexualité vaut plus que celle des autres.

Parce qu’on a aimé une personne de son sexe, parce qu’on est mal dans sa peau et qu’on désire changer de sexe, on peut se faire oppresser, agresser, tuer ! Le quotidien peut vite devenir une horreur, d’autant plus que les homophobes n’ont plus peur de revendiquer leur haine.

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Alors dans cet article on va parler de mangas, comme d’habitude. Et plus précisément, nous mettrons en avant la manière dont certaines bandes dessinées japonaises traitent de l’homosexualité ou du changement de genre. Il s’agit d’un billet engagé qui n’a pas pour objectif d’aborder des œuvres qui dénigrent la communauté LGBT. Il a plutôt vocation à pousser à la réflexion et analyser comment des auteurs abordent le sujet. L’heure n’est pas à la victimisation. Et si ça dérange l’homophobe qui sommeille en vous : tant pis.


L’ombre et la lumière, le noir et le blanc, le yin et le yang. Il s’agit d’une dualité que les artistes se plaisent à mettre en scène dans des titres très différents, allant d’un succès populaire comme Naruto à un manga d’auteur tel qu’Amer Beton. Cette relation est un mélange d’amour et de haine, par conséquent il arrive que des sous-entendus sexuels émergent de certains mangas. C’est par exemple le cas de Berserk, une série dans laquelle un homme (Guts) confie sa vie à un autre (Griffith) après avoir perdu un duel avec lui. Il lui appartient, exécute ses ordres sans broncher et place une totale confiance en lui. Cette relation ambiguë est cultivée à base de répliques marquantes, et particulièrement dans des moments intimes (Griffith, nu après s’être baigné rappelant à Guts qu’il lui appartient en est un bon exemple). Pour autant, elle s’arrête là, on ne peut pas parler d’homosexualité entre les deux personnages. Et quand bien même ils couchent avec des hommes dans le manga (l’un forcé, l’autre à des fins politiques), il faut ouvrir d’autres œuvres pour que le sujet soit traité de manière plus approfondie.

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Une démocratisation dans les années 70

Une grande inspiration de Berserk débute en 1972 dans les pages du Shonen Magazine : il s’agit de Devilman de Go Nagai. Si on y retrouve un certain goût commun pour la démonologie, une histoire de dualité et un pessimisme morbide, c’est pour ses questions liées au genre que le manga nous intéresse aujourd’hui. Comme pour Berserk, une relation plus proche de l’amour que de l’amitié se fait sentir entre deux hommes, quand bien même l’un a une copine. Par un retournement de situation que je ne vais pas révéler, on apprend que l’un des deux personnages est hermaphrodite, et que ce qu’il ressentait vis-à-vis de l’autre était bien de l’amour.

En réalité, durant la fin des années 60 et le début des années 70, le Japon a connu de nombreuses révoltes progressistes (manifestations étudiantes, terrorisme de l’Armée Rouge). La répercussion dans les arts et la littérature a été importante, si bien que de nombreux tabous ont volé en éclats. L’homosexualité en est un. Le sujet s’est démocratisé au cours de la décennie et en 1974, une œuvre a marqué les esprits si bien qu’elle est considérée comme pionnière du shonen ai (ou amour entre garçons). Il s’agit d’un titre de Moto Hagio nommé Le cœur de Thomas. L’histoire se déroule après le suicide de Thomas, dévoré par son amour pour Juli. Ce dernier haïssait Thomas et sera donc troublé par l’apparition d’un nouvel élève qui lui ressemble à s’y méprendre. Si l’amour est secret et dramatique, l’homosexualité n’est pas traité comme un tabou dans cette histoire se déroulant au sein d’une école pour garçons. Qu’importe que l’attirance soit entre deux jeunes hommes, l’amour est de l’amour.

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Esthétisme gay par Moto Hagio au milieu des années 70

S’il a représenté la bisexualité féminine dans des œuvres telles que Maria et Lady Snowblood, il faudra attendre La plaine du Kanto pour que Kazuo Kamimura s’intéresse en profondeur à la question de l’homosexualité masculine. Dans cette série, on suit deux garçons depuis leur enfance jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes. L’un d’eux se fait passer pour une fille dès son plus jeune âge car c’est ainsi qu’il s’accepte le mieux. En raison des pressions sociales, il fait en sorte que son travestissement reste un secret. Plus Ginko grandit et moins le regard des autres l’effraie, poussant l’affirmation de sa sexualité jusqu’à tenir un bar gay. Kazuo Kamimura traite le personnage sans pudeur, ce qui lui confère une touche de réalisme. Pour autant, son style narratif et son goût pour l’esthétisme font qu’il ne tombe jamais dans le vulgaire.

En somme, de nombreux auteurs ont contribué à lever le voile sur le tabou de l’homosexualité durant les années 70. Même Osamu Tezuka a donné du sien à travers notamment MW. Le manga est un média de masse, pour autant il est assez libre et s’intéresse à des problématiques de la société. Les choses bougeant lentement, des problèmes liés à l’homosexualité existent encore : les thèmes d’hier sont aussi les thèmes d’aujourd’hui.

Des auteurs engagés

Nul besoin d’être homosexuel pour bien traiter du sujet. Néanmoins dessiner un manga en s’inspirant de son vécu et de ses désirs tend à lui donner un certain crédit. C’est le cas d’auteurs comme Ebine Yamaji ou Gengoroh Tagame, qui ont fait de l’amour entre deux personnes du même sexe un sujet de prédilection. S’ils ont en commun d’érotiser leurs mangas, ils se démarquent d’autres artistes en abordant des réalités complexes trop souvent passées sous silence. Ainsi le point de départ de Love my life est une jeune femme qui n’ose pas faire son coming out à son père. Le mari de mon frère, quant à lui, traite d’homophobie en mettant en scène un personnage dont les préjugés sur les gays sont blessants.

Bobo, auteur de l’article sur Gengoroh Tagame et le manga gay nous raconte sa découverte de l’auteur : « J’ai d’abord été attiré par son style graphique, notamment dans sa représentation des corps masculins, loin des éphèbes style bishonen que l’on rencontre à foison dans les mangas ». Le mari de mon frère l’a intéressé car il suit de près l’actualité de l’auteur et qu’il était curieux de le voir s’engager dans une voie grand public. Il apprécie l’œuvre car « Gengoroh Tagame est bien placé pour parler de ce qu’il connaît, l’homophobie au Japon, et il le fait bien. En plus, c’est une thématique rarement abordée dans les mangas autres que les boy’s love ». A la question de savoir si le manga peut sensibiliser à l’homophobie, il répond qu’il « peut sensibiliser les gens peu au fait puisqu’il aborde le sujet avec beaucoup de douceur, parfois sans finesse mais toujours avec justesse. Par contre, grosse question de l’apport pour des personnes victimes d’homophobie, car celles-ci n’apprendront pas grand-chose de cette lecture, si ce n’est la vision japonaise de l’homosexualité (ne pas sortir du rang, rester invisible, dans le placard) ».

Si ces mangas font des problématiques liées à l’homosexualité leur sujet dominant, d’autres se permettent de les aborder à travers une intrigue dont le propos principal n’a rien à voir via des personnages LGBT. De cette manière, il est possible de soulever des thématiques liées au genre par petites touches et d’y intéresser un public ne cherchant pas forcément une lecture sur le sujet. Aussi il est utile de rappeler que l’intégration de personnages homosexuels ou transgenres n’est pas pour faire plaisir à une communauté : c’est un acte militant !

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Kei, un jeune homme de Moyasimon, se travestissant en gothic lolita

De ce fait, Gengoroh Tagame n’est pas le seul à mettre en relation un personnage gay et un personnage homophobe. Dans Moyasimon, une fille trouve écœurant le fait que deux garçons s’embrassent. Ce à quoi une autre fille de leur groupe d’amis lui répondra par… un baiser. En fait, sous couvert de manga scientifique, l’œuvre de Masayuki Ishikawa aborde des tranches de vie d’un groupe d’étudiants et certaines sont liées à la question du genre. Tout est amené finement, à tel point que l’on comprend l’origine de l’homophobie de la jeune fille est question (car oui, comme le terme l’indique, son rejet des gays vient d’une peur de la sexualité et de la difficulté d’en parler). Sans être moralisateur, le mangaka éduque le lecteur avec justesse alors même que le thème de base de son œuvre est la microbiologie.

Un autre auteur allie lui aussi la thématique du changement de genre à la science, mais fiction cette fois, il s’agit de Tsutomu Nihei. Dans Knights of Sidonia, il crée un troisième genre, ou plus précisément des personnages agenrés. Ils ne sont ni des femmes ni des hommes. Leur organe génital se développe en fonction du partenaire avec lequel ils veulent s’accoupler. La question du genre se retrouve de temps à autre et sous différentes formes dans des mangas, au-delà même du travestissement. Si une saga comme Le requiem du roi des roses a un protagoniste hermaphrodite, L’ère des Cristaux propose de suivre des personnages non-genrés.

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Homme ou femme ? Les deux visages de Mashiro

Néanmoins un titre propose de pousser la réflexion plus loin que les autres, il s’agit de L’infirmerie après les cours de Setona Mizushiro. Mashiro est à la fois un garçon et une fille, et s’il a choisi de vivre en tant qu’homme, l’arrivée de ses premières règles le plonge dans un état de confusion quant à son genre. Une fois par semaine, il se rend à une mystérieuse infirmerie et plonge dans un monde de rêve qu’il partage avec d’autres élèves/patients. Dans cet univers onirique, Mashiro est mis à nu, son secret est révélé au grand jour : il est représenté sous une forme féminine. Partagé entre des sentiments pour un homme (So) et une femme (Kureha) eux aussi patients de l’infirmerie, le jeune hermaphrodite est en proie au doute. Il est fragile, mal dans sa peau. Il aimerait fuir mais est prisonnier de ses questions identitaires. Tout au long de la série, il se pose des questions sur son genre, sur ce qu’il est vraiment. Et ces thématiques, de nombreuses personnes peuvent y être sensibles sans pour autant être hermaphrodites. Ne pas se sentir bien dans son corps. Penser qu’on est né avec le mauvais sexe. Autant de questions dont il est difficile de parler, surtout quand on est adolescent. Alors L’infirmerie après les cours prouve que d’autres personnes se posent les mêmes questions, qu’ils ne sont pas seuls et que leurs doutes sont normaux. En des mots simples : c’est un manga utile. Le genre d’œuvre qui peut faire du bien à de nombreux lecteurs dont les problématiques qu’ils rencontrent au quotidien sont sous-représentées dans la fiction.

Le fantasme de l’homosexualité

Plus que n’importe quelle autre scène de bandes dessinées du monde, la japonaise s’est intéressée à l’homosexualité en tant que vecteur d’érotisme. le boy’s love, le yuri et le gay manga sont autant de genres servant à désigner des œuvres provocant le désir à travers des relations entre personnages du même sexe. Le boy’s love (ou communément et maladroitement nommé yaoi en occident) est le plus représenté d’entre eux. Il met en scène des relations entre hommes, pas forcément sexuelles. Qu’elles soient douces ou violentes, réalistes ou invraisemblables, l’essentiel est qu’elles permettent de nourrir les fantasmes des lecteurs.

On pourrait alors penser que ces mangas sont uniquement pornographiques, sans aucun autre intérêt, et ce serait une grossière erreur. Bien entendu, une grande part de l’industrie l’est. Nul besoin d’écrire une histoire ambitieuse pour faire un bon manga dont le but est masturbatoire. Mais il ne faut pas s’arrêter à ça. Certains se démarquent par le développement de leurs personnages, d’autres par un esthétisme insufflé par l’artiste. Quelques auteurs n’hésitent pas à briser les stéréotypes du genre (comme le rapport entre dominant et dominé) ou à les contourner. De plus, du fait de leur statut de mangas pour adultes, les BL peuvent se permettre d’aborder des thématiques tabous telles que le viol, l’inceste ou encore les drogues de manière irrévérencieuse, en les fantasmant. En d’autres mots, certains dessinateurs dépassent les limites du conventionnel et ont une liberté d’expression telle qu’ils peuvent représenter leurs désirs les plus extrêmes.

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D’une douceur autant esthétique que scénaristique, Doukyusei constitue une porte d’entrée idéale dans le monde du BL

Militante contre certaines formes de discrimination, travaillant auprès de personnes LGBT, Lili est aussi et surtout une lectrice insatiable de boy’s love. Quand on lui demande pourquoi lire ce genre de manga, elle rétorque qu’il « y a deux choses contradictoires. Pas mal de fujoshi parlent du fait qu’on ne s’identifie pas aux personnages, étant donné qu’on est des nanas. D’un point de vue totalement personnel, il y a un peu de ça : la déconnexion de la réalité, le fait de ne pas pouvoir transposer ce qu’on lit à notre vie. C’est l’incarnation d’un fantasme irréalisable. D’un autre côté, il y a également un fantasme lié à l’identité sexuelle, le fait de changer de sexe. En conclusion, l’idée de ne pas s’identifier s’entremêle avec l’envie de le faire. De plus, on trouve de tout dans les BL : on va du cul sans scénario à des œuvres qui n’ont rien à envier aux mangas d’autres genres, avec une vraie histoire, une belle intrigue, des personnages profonds psychologiquement. Et pour ma part j’aime les deux, tout dépend du moment et de ce qu’on recherche dans la lecture ». Parmi les sorties actuelles, Lili nous raconte qu’elle a eu un coup de cœur pour la série Acid Town : « C’est une histoire sombre se déroulant dans un décor d’uchronie, avec une romance en filigrane. Le plus, c’est que ça va au-delà du BL, c’est tout public. Même si l’homosexualité est très présente, il n’y a pas de sexe, l’accent principal étant mis sur l’intrigue et sur la relation d’amitié ambiguë entre deux garçons ».

Bien que passionnée, la jeune femme nous prévient : « Le fait est que toutes les lectrices (ou lecteurs) de BL ne sont pas aussi ouvertes qu’on pourrait le penser sur l’homosexualité. Effectivement, le fantasme et la réalité, c’est parfois bien trop distinct ». Pour autant, l’interrogée n’est pas pessimiste et est consciente qu’elle n’est pas la seule amatrice de romances gays à être engagée pour la cause LGBT. Elle nous raconte qu’il « y a tout un public ouvert d’esprit, accessoirement militant, et qui pense que le BL, tout comme le yuri, peut entraîner une espèce de banalisation de l’homosexualité dans l’image que l’on peut avoir de l’amour. L’amour, entre n’importe qui, c’est toujours beau. Mais vue l’homophobie ambiante, je ne peux pas m’empêcher d’espérer que ce genre de lectures va graver une image bien plus belle d’une relation entre hommes ou entre femmes que ce qu’une certaine partie de la société veut nous faire croire. Il suffit de lire Doukyusei pour comprendre à quel point c’est beau, c’est doux, c’est du coton ». Pour finir, Lili met en relation ses lectures avec des problèmes que peuvent rencontrer des personnes gays. Elle nous explique que « contrairement aux œuvres des années 70, la plupart des BL actuels se termine bien, quelles que soient les difficultés à enjamber. On évoque souvent le fait de se découvrir aimant les garçons, de ne pas se considérer comme normal, d’avoir peur de la réaction des autres, des amis ou de la famille… Mais au final qu’importe, parce que la relation va triompher, on passe au-dessus des conventions. Tous les BL ne sont pas comme ça, tous ne se posent pas la question de la discrimination, ou d’une certaine morale sociétale. Mais certains oui, et je trouve ça bien. Donc je retrouve le côté militant quelque part : l’ouverture d’esprit, le pouvoir de l’amour, la pensée du « on fait ce qu’on veut, on s’aime », et ça se finit bien 90% du temps ».

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Acid Town, un shonen ai se démarquant autant par son univers riche que ses relations travaillées

Une idée ressort, il existe différentes manières de traiter du fantasme lié à l’homosexualité. Afin d’y voir plus clair, nous allons comparer deux œuvres sur le saphisme qui se démarquent par leur réalisme mais qui s’opposent en bien des aspects. Fleurs bleues est une série mettant en scène des romances entre lycéennes. La construction des relations est lente, de ce fait une certaine tendresse se dégage. Il s’agit d’un manga subtil, qui met le sourire aux lèvres sans tomber dans la niaiserie, qui fait ressentir les doutes des personnages. Car oui, l’œuvre de Takako Shimura brille par la complexité des sentiments et l’évolution psychologique de ses protagonistes. En d’autres mots, c’est mignon mais c’est profond.

Dans Maka-Maka, le ton est plus cru. On suit deux étudiantes dans des morceaux choisis de leur quotidien. Quand bien même elles sont amies, quand bien même elles ont chacune un (ou plusieurs) mec, elles se sentent libres de coucher ensemble lorsqu’elles le désirent. Le titre se démarque par son goût prononcé pour l’érotisme, mais il serait dommage de le réduire au fantasme. En effet, tout comme Fleurs bleues, le manga excelle dans son approche psychologique. Plus les deux amies couchent ensemble et plus elles apprennent à se connaître, elles se déshabillent au sens propre comme au figuré. Dans Maka-Maka, le sexe est un moyen de communication.

En définitive, on peut aborder un sujet sous plusieurs angles. Que la bande dessinée soit sensuelle ou sexuelle, c’est d’abord à l’auteur de choisir ce qu’il a envie de dessiner et comment il souhaite mettre en scène ses thèmes. Ensuite c’est au lecteur d’être sensible à un ton plutôt qu’à un autre. C’est pour cela qu’il est fantastique d’avoir accès à une gamme si importante de mangas sur des relations entre personnages du même sexe.

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L’amitié libertine de Maka-Maka

Pour autant la fascination pour les couples homosexuels se retrouve au-delà du boy’s love et d’autres genres spécifiques. Par exemple, l’amour entre hommes est un thème qui revient chez Usamaru Furuya, et notamment dans Litchi Hikari Club. Au cœur de ce thriller grotesque se trouve la relation secrète entre deux jeunes hommes. Pour le mangaka, représenter un couple gay d’adolescents est une forme de beauté transgressive. Le fait qu’ils se cachent pour coucher ensemble dans un premier temps, puis que la passion se mue en folie ajoute une forme d’esthétisme à cette sexualité. Chez Shinichi Sakamoto, c’est la bisexualité qui est embellie, mais de manière différente. Dans Innocent, quand deux adolescents se rencontrent, qu’ils ont un coup de foudre et s’embrassent, c’est un côté rebelle qui se dégage. Autrement dit, ce qu’ils ressentent est plus important que l’opinion publique. Ceci est accentué dans une autre relation, entre deux femmes cette fois-ci. Marie-Josèphe assume clairement sa sexualité et, en dépit de sa position sociale désavantageuse (rappelons que le manga se déroule en France avant la révolution de 1789), étreint Marie-Antoinette en la poussant à libérer ses désirs. L’homosexualité fascine, sublimée par un vent de révolte.

Cet article n’est pas là pour faire une liste exhaustive des œuvres qui abordent l’homosexualité ou le changement de genre, mais pour rappeler que le monde du manga s’intéresse au sujet de bien des manières et depuis des années. Alors si jamais vous ne comprenez pas pourquoi des personnes ont une sexualité différente de la vôtre, que vous les harcelez, les insultez. Si la vie intime des autres vous fait tellement peur que vous vous sentez le droit de réprimer des choix qui ne vous concernent pas. Si vous discriminez quelqu’un car sa quête identitaire le rend mal dans sa peau. Si vous pensez que les couples gays n’ont pas à avoir les mêmes droits que les couples hétéros… sachez que j’ai un conseil pour vous : lisez deux ou trois mangas, ça vous rendra moins cons.


Crédits pour les images :

  • Le mari de mon frère © 2014 Gengoroh Tagame / Futabasha
  • Blue © 1995 Kiriko Nananan / Shodensha
  • Berserk © 1989 Kentari Miura / Hakusensha
  • Le cœur de Thomas © 1974 Moto Hagio / Shogakukan
  • Moyasimon© 2004 Masayuki Ishikawa / Kodansha
  • L’infirmerie après les cours © 2004 Setona Mizushiro / Akita Shoten
  • Doukyusei © 2006 Asumiko Nakamura / Akaneshinsha
  • Acid Town © 2008 Kyugo / Gentosha
  • Maka-Maka © 2003 Torajiro Kishi / Jive
  • Litchi Hikari Club © 2006 Usamaru Furuya / Ohta shuppan
  • Innocent © 2013 Shinichi Sakamoto / Shueisha

Remerciements à Clément pour la bannière et à Lili et Bobo pour leur participation.

10 réflexions sur “Quand le manga s’empare des problématiques LGBT

  1. Très bon article qui fait bien le tour du sujet !! Malheureusement notre société veut toujours départager les hétéros des homos, les femmes des hommes… Ne serait-ce que pour nos centres-d’intérêts ! Alors que merde, on est tous des êtres humains et l’amour ne devrait pas prendre en compte le sexe de l’être aimé ! Personnellement en lisant un BL, ça ne me gêne pas de m’identifier à un personnage masculin, comme dans tout autre manga d’ailleurs… :)

  2. Un texte particulièrement complet sur la question, bien écrit et abordant la question de l’homosexualité et du genre sous les nombreux aspects présents dans le manga : c’est effectivement un superbe article. J’ai trouvé les analyses très justes, notamment celle sur le BL. Je connais les oeuvres citées, au moins de nom, mais l’article met en valeur des facettes moins connues de ces titres en les développant bien. J’adore la conclusion de l’article ^^

  3. Article fort, et très bien écrit : merci !

    J’ai repensé à une question que l’on me posait, lorsque j’étais en France, que l’on me pose, ici, à Tokyo. « Pourquoi ? » « Pourquoi je lis des BL ? » (option air de reproche dans la voix).
    Pourquoi pas ? Que dois-je répondre à ça ?

    C’est comme le : pourquoi tu es gay ? Il faut répondre, parce que c’est étrange (pour qui ?), parce que cela dérange (qui ?), parce que cela interroge certains et certaines.

    Mais je ne pense pas que l’amour se pose ce genre de questions. L’amour vit. L’amour est beau. Il est fort. Il est sage. Il est tendre. Il aime aujourd’hui, et c’est déjà beaucoup.

  4. Pingback: Lire un manga quand on y connait rien – grevyouspeaks

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